Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Virginia.
Virginia est une féministe guatémaltèque dont l’interview a été possible grâce à Xenomorf, un habitué du blog que vous avez déjà pu lire.
L’interview est disponible en français et en-dessous en espagnol. Nous avons cherché à respecter au mieux la parole de Virginia ce qui explique la traduction très littérale.
- Est-ce que tu peux te présenter ?
Virginia, féministe, métisse, guatémaltèque
- Depuis quand est tu féministe ?
Je crois que j’ai commencé à m’identifier comme féministe il y a environ 3 ans.
- Il s’est passé quelque chose en particulier ou c’est venu progressivement ?
Je crois que dans la mesure où j’ai fini par me rendre compte que la violence sexuelle avait traversé ma vie, comme ma personnalité avait été construite depuis un "handicap" et "le manque de capacités", et que l’unique pouvoir qu’il me restait était celui de victime. Avec cette prise de conscience, j’ai ressenti le besoin de m’appeler féministe, pour me situer depuis un autre lieu, pour récupérer ma liberté et avoir plus de possibilités de choix. Tout ceci j’ai pu le sentir dans la mesure où j’ai été accompagnée dans ce processus de guérison dans l’organisation à laquelle je collabore et que je considère comme importante dans mon parcours.
- Tu te considères militante ? Quel sens mets-tu derrière ce mot ?
Honnêtement, je m’identifie plus avec le mot activiste, et ma pratique politique est traversée par le féminisme, mais pas seulement. Le féminisme m’a ouvert de nombreuses portes, vers l’autoconnaissance, la réconciliation permanente avec mon corps, mes désirs, mon érotisme, mon autonomie et ma force. Il m’a aussi permis de voir ma colère, le besoin de "concurrence" et les habitudes manipulatoires avec lesquelles les femmes exercent violence et pouvoir. C’est là que pour moi la spiritualité et les processus de guérison font partie de mon activisme ce qui est fondamental pour la non répétition des phénomènes, et pour ne pas utiliser le féminisme comme un discours, au nom duquel on peut utiliser la violence pour disqualifier et blesser. De fait pendant longtemps, je l’ai fait avec d’autres, femmes et hommes, mais je n’avais pas une véritable liberté et je n’étais pas honnête envers moi-même.
- Tu te définis comme métisse. Dans quelle mesure c’est important au Guatemala ?
Cette identité m’est utile dans ce contexte guatémaltèque raciste. Le terme "ladino" (NDT les guatémaltèques "blancs") est une réaffirmation du "non indigène", c’est-à-dire une identité qui se base sur la négation de l’autre, ou la distinction. Le terme métisse m’est utile pour me positionner face à cette oppression, et dire que la part maya fait partie de moi, la négritude fait partie de moi, tout comme la blanchitude.
- Les féministes latinoaméricaines parlent souvent du féminisme comme une dimension "sensible", de compréhension envers elles-mêmes. Ca te parait juste ? Pourquoi ?
Oui parce que cela place et légitime l’expérience propre et la corporalité face au monde, qui encadre les expériences de vie des femmes dans les contextes domestique ou romantique, et ne les considère pas comme un savoir vital pour la transformation du système. Le féminisme légitime mes expériences de vie, mes ressentis, croyances, non comme un phénomène statique mais plutôt comme point de départ pour des analyses et réflexions profondes sur le "où j’en suis" et quels chemins je peux suivre pour me transformer et me trouver.
- Tu parles beaucoup de soin et de guérison (sanación)…. Parce que tu es dans une organisation qui travaille contre les violences sexuelles, mais est-ce que ca évoque aussi un soin, un nettoyage des processus installés par le patriarcat ?
La sexualité est un concept que le patriarcat a encadré ou limité à la génitalité et au coït hétérosexuel, mais pour les femmes la sexualité implique la construction de tout son être en fonction du respect d’un contrat sexuel. Je crois que la violence sexuelle pour nous commence quand on nous apprend à construire notre identité en fonction d’un pénis, c’est-à-dire la domestication de notre désir. Etre désirée devient l’alpha et l’oméga. Je crois que nous les femmes avons besoin de construire un imaginaire sur la sexualité qui nous permette une vraie autonomie et liberté, et pour cela la guérison est un outil très important. Pourquoi j’existe ? Pour quelle raison j’existe ? Pour être désirée? Non. La guérison m’aide à découvrir mon propre chemin, en décodant ces injonctions pour les sortir de mon corps.
- Tu travailles avec des femmes indigènes. Comment est le féminisme indigène ? Quelle sont ses luttes et défis ?
Dans le cas d’Actoras de Cambio (l’organisation dans laquelle je travaille), nous prenons le féminisme comme une bannière à laquelle les femmes doivent adhérer. Nous utilisons les outils que nous donne le féminisme pour l’analyse de nos propres vies, et ce que nous cherchons c’est construire ensemble à partir de nos propres expériences. D’autres femmes mayas féministes se revendiquent du féminisme communautaire, qui récupère la connexion au corps comme espace de reconnaissance et d’affection, le territoire comme un espace dans lequel les diverses communautés se développent, le temps des femmes et le temps des hommes comme espaces d’inégalités qu’il faut analyser, le mouvement comme possibilité de créer un corps social différent. Je crois que leurs luttes les plus importantes sont :
- La légitimation de leur construction politique à l’intérieur d’espaces communautaires machistes
- La défense de leurs territoires face à l’exploitation et l’expropriation de la part de grandes entreprises multinationales et de l’Etat
- La reconnaissance de leurs spiritualités et manières ancestrales de guérir
- Le racisme qu’elles affrontent de la part du monde, et aussi de la part d’espaces féministes occidentaux.
Actoras de Cambio s’identifie beaucoup avec cette proposition politique car elle cherche, à partir de la guérison individuelle dans le collectif, en construisant dans cet espace un positionnement de transformation dans les communautés, et en ce sens agir pour réussir cette transformation. Les défis des femmes mayas que nous accompagnons sont les mêmes que les femmes mayas qui décident de s’organiser pour leur propre bien-être, qu’elles s’appellent féministes ou non. Dans notre cas, les défis sont :
- La violence machiste qui surgit face à des dénonciations publiques de violence sexuelle
- La solidarité entre agresseurs, qui s’étend jusqu’aux autorités communautaires et à l’Etat
- Les croyances enracinées de ce que signifie "être une bonne épouse"
- La peur du changement que nous avons en tant que femme, comme le risque de perte des liens affectifs communautaires
Lien en français expliquant l'action de Actoras de Cambio
J'ai demandé à Xenomorf quelques précisions sur certains des points évoqués dans l'interview. Voici ce qu'il en dit.
Le soin et la guérison... c'est lié au fait qu'Actoras de Cambio (la Collective Actoras de Cambio, elles ont féminisé le nom commun) travaille dans la guérison de femmes victimes de violences sexuelles de masse pendant le "conflit armé" (1960/1996,une tentative de génocide. Violence niée, impunité des tortionnaires (les premiers procès concernent les généraux, et ont commencé il y a juste quelques années), stigmatisation au quotidien dans leurs communautés depuis... le tout dans un cadre très raciste où la femme indigène est encore moins considérée que l'homme et où la violence domestique est très forte (le Guatemala est un des 10 pays les plus violents du monde à l'égard des femmes). La médecine moderne ne les regarde que très peu, ses outils ne conviennent pas vraiment à la façon indigène de voir le monde et Actoras a du faire un mix entre thérapies alternatives, de groupe, communication non violente, analyses féministes dans un sens éducation populaire (donner des outils aux gens pour s'empouvoirer, c'est aussi la charge supplémentaire du mot guérison), une méthode de gestion du projet qui favorise l'autogestion, etc. avec des cérémonies maya pour se raccrocher à leur identité première, des touches de spiritualité asiatique aussi, des massages... tout cela pour l'état d'esprit et la méthode, qui donne sens à du travail concret de mise en réseau de femmes relais, un lien fort avec des enseignants et les enfants, hommes et femmes (changer les mentalités pour le futur), l'élaboration d'outils de sensibilisation, de mémoire, de témoignages de vie, des évènements culturels publics où ses femmes se réapproprient leur histoire.
Au-delà de centaines de femmes libérées, qui se sentent mieux et qui le disent, qui deviennent aussi des référentes au quotidien contre la violence, parfois contre les institutions, un réseau informel d'aide aux femmes qui s'enfuient, un autre modèle pour leurs filles, qui s'impliquent massivement... ben il y un groupe d'une dizaine de femmes Ixil victimes, abandonnées sauf par quelques ONG de femmes, qui a fini par réussir à témoigner au procès de Rios Montt en 2013.
L'idée est je crois que la guérison est à plusieurs niveaux, la guérison personnelle du traumatisme, la guérison de leur situation personnelle maintenant, la guérison de leur communauté et de leur société (face à une société raciste, capitaliste et patriarcale à outrance), mais aussi la guérison de l'estime de soi, d'une dignité bafouée au quotidien... Je crois que c'est en ce sens que Vicky parlait (d'ailleurs on utilise plus le mot "sanacion" au sens de processus, que le verbe "sanar", comme si c'était abouti). Guérison de traumatismes, et guérison de processus et schémas mentaux toxiques pour reprendre prise sur sa vie...
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- Te puedes presentar ?
Virginia, feminista, mestiza , guatemalteca.
- Desde cuando eres feminista ?
Creo que me empecé a identificar como feminista desde hace 3 años.
-Ocurrio algo en particular o vinio progresivamente ?
Creo que en la medida en la que fui viendo cómo la violencia sexual ha atravesado mi vida, cómo mi ser fue construido desde la minusvalía y la incapacidad, cómo el único poder que me quedaba era el de la víctima. Con esta consciencia sentí la necesidad de llamarme feminista, para colocarme desde otro lugar, para recuperar mi libertad, y tener más posibilidades para elegir. Todo esto lo pude sentir en la medida en la que otras me acompañaron en este proceso de sanación en la colectiva en la que colaboro y que considero parte importante de mi camino.
- te consideras militante ? Que sentido hay atras de esta palabra
Honestamente me siento más identificada con la palabra activista, y mi práctica política esta atravesada por el feminismo, pero no únicamente. El feminismo me ha abierto muchas puertas hacia el autoconocimiento, la reconciliación continua con mi cuerpo, mis deseos, erotismo, autonomía y fuerza. También me ha permitido ver mi enojo, necesidad de competencia y maneras desde la manipulación en las que las mujeres ejercemos violencia y poder. Allí es donde para mí la espiritualidad y la sanación también son parte de mi activismo, parte central para la no repetición y para la no utilización del feminismo como un discurso, en nombre del cual también se puede usar la violencia para descalificar y herir, de hecho por mucho tiempo lo hice con otras y otros, pero eso no me daba verdadera libertad y honestidad conmigo misma.
- te defines como mestiza. En que sentido es algo importante en Guatemala ?
Esta identidad me es útil en este contexto guatemalteco racista que:
Se define ladino como una reafirmación de "no idígena". Es decir una identidad que se basa en la negación de otra o la separación de otras y otros. El término mestiza me es útil para posicionarme frente a esta opresión y decir que lo maya es parte de mí, la negritud es parte de mí, así como lo blanquitud.
- Siempre las feministas latinoamericanas con las cuales estoy hablando hablan del feminismo como una dimension sensible, de comprension hacia ellas mismas. Te parece justo ? Porque ?
Si, porque coloca y legitima la propia experiencia y la corporalidad frente al mundo, que enmarca las vivencias de las mujeres al ámbito doméstico o romántico, no considerada una sabidiría vital para la transformación de este sistema. El feminismo legitima mis vivencias, sentires, creencias, no cómo un fenómeno estático sino más bien como puntos de análisis y reflexión profunda de en dónde estoy y qué caminos puedo seguir para transformarme y encontrarme.
- Hablas mucho de sanacion... porque estas en una organizacion que trabaja contra violencias sexuales, pero seria también una sanacion de procesos instalados por el patriarcado ? En que sentido ?
La sexualidad es un concepto que el patriarcado ha enmarcado o limitado a la genitalidad y coito heterosexual, pero para las mujeres la sexualidad implica la construcción de todo su ser en función del cumplimiento de un contrato sexual, creo que la violencia sexual para nosotras inicia cuando nos enseñan a construir una identidad en función de un pene. Es decir la domesticación de nuestro deseo, el ser deseadas se convierte en un todo. Creo que las mujeres necesitamos la construcción de un imaginario sobre la sexualidad que nos permite la verdadera autonomìa y libertad, para eso la sanación es una herramienta muy importante. ¿Porque existo? ¿Para qué existo? para ser deseada, no. La sanación me ayuda a descubrir mi propio camino decodificando de mi cuerpo estos mandatos.
- Trabajas con mujeres indigenas. Como es el feminismo indigena ? Cuales son las luchas y retos de estas mujeres ?
En el caso de Actoras de Cambio no colocamos el feminismo como una bandera al que las mujeres deben adherirse, usamos las herramientas que nos da el feminismo para el análisis de nuestras propias vidas, y lo que buscamos es construir juntas desde nuestras propias experiencias. Ahora con otras mujeres mayas que se nombran feministas, ellas reivindican el feminismo comunitario, que rescata la conexión con el cuerpo como espacio de afecto y reconocimiento, el territorio como un espacio en el que las diversas comunidades se desarrollan, el tiempo de las mujeres y hombres como espacios de desigualdad que hay que analizar, el movimiento como posibilidad de crear un cuerpo social diferente. Creo que sus luchas más importantes son:
La legitimación de su construcción polìtica dentro de sus espacios comunitarios machistas.
La defensa de sus territorios frente a la explotación y expropiación de las grandes empresas transnacionales y el estado.
El reconocimiento de sus espiritualidades y maneras ancestrales de sanar.
El racismo que enfrentan frente al mundo y también frente a espacios feministas occidentales.
Actoras de Cambio se identifica mucho con esta propuesta polìtica porque busca partir de la sanación personal en colectivo, construyendo en ese espacio un posicionamiento de transformación frente a las comunidades, y en ese sentido accionar para lograrlo. Los retos de las mujeres mayas que acompañamos puede decirse que son los mismos que enfrentan las mujeres mayas que deciden organizarse por su propio bienestar se nombren feministas o no. En nuestro caso los retos que debemos enfrentar son:
La violencia machista que surge frente a la denuncia pública de la violencia sexual.
La solidaridad entre agresores que se extiende hasta autoridades comunitarias y estado.
Las creencias arraigadas de lo que significa ser una buena mujer.
El miedo que las mujeres tenemos al cambio, como una pérdida del afecto de los lazos comunitarios.
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