Sep 112013
 

Se développe ces dernières années un business de la drague et de la séduction, que de nombreuses féministes ont dénoncé, tant il colporte des incitations au viol et à l'agression sexuelle. Bien évidemment, les différents sites de "pick up artists" n'ont pas tardé à se désolidariser de celui qui était le plus visé, expliquant qu'ils n'étaient pas du tout comme cela et qu'eux respectaient les femmes.
S'il faut évidemment dénoncer ces sites, qui enseignent aux adolescents des véritables méthodes de manipulations, voire incitent à l'agression sexuelle, il me semble important de constater qu'ils ne contentent de reproduire, d'une façon même pas caricaturale, ce qui existe déjà dans nos sociétés et qui est vendu comme modèle de "séduction à la française".

En 2011, Irène Théry, disait, au sujet de l'affaire DSK, le féminisme "est fait d'une certaine façon de vivre et pas seulement de penser, qui refuse les impasses du politiquement correct, veut les droits égaux des sexes et les plaisirs asymétriques de la séduction, le respect absolu des du consentement et la surprise délicieuse des baisers volés."
Plaisirs asymétriques.
Baisers volés.

La séduction à la française semble ne pas concevoir l'égalité des participants à cette séduction. Il y aurait un dominant, l'homme, qui "vole des baisers" à une dominée, la femme et tout se passerait en bonne intelligence, selon des rapports qu'ils ne faudrait surtout pas modifier au risque qu'il n'y ait plus désir ni envie. Un baiser volé n'est pourtant rien d'autre qu'un baiser obtenu sans consentement ; cela parait fort mignon, fort joli, fort appréciable tant nous sommes conditionnés à concevoir que les choses doivent se passer ainsi. Constatez qu'il n'y a même pas besoin pour Théry de dire qui vole des baisers à qui ; nous avons tous et toutes intériorisé qu'une femme ne vole jamais rien.

La séduction se passe selon des règles immuables ; les femmes prononcent des non qui veulent parfois dire oui, car on leur a enseigné qu'il faut feindre l'indifférence, pour ne pas passer pour des salopes et les hommes sont censés insister jusqu'à ce qu'elles consentent. Ce non est si peu clair qu'on ne sait pas au fond si elles cèdent ou consentent, si elles veulent vraiment. C'est toute la problématique de cette séduction puisque, contrairement à l'adage, les femmes ne disposent pas du tout, mais se contentent d'être soumises aux contraintes liées à leur genre. Les femmes apprennent peu à respecter leur désir, ou leur absence de désir, tant elles doivent avant tout penser à ne pas passer pour une salope/une fille coincée. Nous sommes prises dans des injonctions contradictoires où il faudrait presque calculer un temps idéal de résistance à l'homme avant de consentir qui serait le temps idéal où l'on n'est ni une salope, ni une coincée ; temps qui varierait selon notre âge et celui de notre partenaire.

En réponse à Théry, Scott écrivait "Ce point de vue, que développent (entre autres) les écrits de Mona Ozouf (les Mots des femmes : essai sur la singularité française) et ceux de Claude Habib (le Consentement amoureux et Galanterie française) avance que la sujétion des femmes au désir des hommes est la source de leur influence et de leur pouvoir. Claude Habib cite le livre d’Honoré d’Urfé, l’Astrée, pour écrire en approuvant son propos : «Non seulement la soumission totale est un bien, mais c’est presque une condition de l’amour féminin.». Elle ajoute que la quête de l’égalité des droits individuels pour les femmes a conduit à la «brutalisation des mœurs»."

Nous semblons incapables de comprendre que la séduction peut passer par des rapports d'égalité qui n'ont rien d'antisexe ou de peu excitants ; on met en avant que c'est cette asymétrie qui est excitante, cette sujétion des femmes qui ne consentiraient jamais vraiment et qu'il faudrait pousser un peu pour qu'elles disent oui. C'est ce qu'on pourrait appeler le marivaudage avec des femmes qui minaudent. Nous sommes si fiers de cette séduction que nous avons extraordinairement du mal à l'interroger, y compris chez les féministes, et que nous traitons tous ceux qui tentent de réfléchir autrement les rapports hommes/femmes de "puritains" comme si l'égalité dans les rapports sexuels était un vrai problème ce qui en dit long sur notre rapport au sexe. Peut-on et doit-on envisager le sexe autrement qu'un rapport de pouvoir ; là où il en existe déjà un de fait puisque nous vivons en plein patriarcat ?

Mais relisons ce texte.  Est-il unique , sort-il tout droit d'un esprit malade qu'il convient de faire taire et tout ira bien ensuite ? Je prétends que non. Ce texte ne fait que véhiculer ce que j'appelle la culture du viol et qui est présente partout. Voici les conseils donnés aux femmes dans un magazine féminin : "Ou, plus réaliste, on apprend à repérer à qui on a affaire, on évite les attitudes "castratrices", on laisse venir, on prend son temps".
Beaucoup semblent ne toujours pas avoir compris ce qu'est la culture du viol partant du principe qu'on est tous contre le viol (enfin tous sauf ceux qui ont participé aux 50 000 viols annuels) ; tous contre le viol sauf qu'on peut parler de "rapports assymétriques", de "baisers volés", de "fausse résistance" en toute tranquillité.
Oui les femmes sont clairement conditionnées à ne pas respecter leurs désirs et les hommes à les pousser à céder. Oui c'est ainsi qu'on arrive au viol avec le chiffre faramineux de 50 000 viols par an qu'il va bien falloir questionner un jour.
Si la façon de séduire en elle-même était à interroger et à repenser ?
Si la virginité des femmes n'était plus vue comme quelque chose d'important ?
Si le vagin des femmes n'était plus un bien précieux de la collectivité qu'elle doit tantôt défendre, tantôt offrir ?

En clair l'égalité hommes-femmes ne passe-t-elle pas également par la déconstruction de l'hétérosexualité et de ses rapports asymétriques ?

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  18 réponses sur “Pick up artists, séduction à la française et consentement des femmes”

  1. [...] Pour comprendre le problème, quelques articles en complément : Les questions Composent – Poire le violeur : quand « séduire » devient « faire céder » Crêpe Georgette – Pick up artists, séduction à la française et consentement des femmes [...]

  2. Je lisais le texte... et j'étais plutôt d'accord avec ce qui était dit. Jusqu'à cette dernière phrase.

    "En clair l’égalité hommes-femmes ne passe-t-elle pas également par la déconstruction de l’hétérosexualité et de ses rapports asymétriques ?"

    Quel est le rapport intrinsèque entre l'hétérosexualité et des rapports hommes-femmes asymétriques ? J'aurais compris qu'on parle de stéréotypes de genre, mais j'ai du mal à saisir en quoi l'attirance pour des individus du sexe opposé implique nécessairement des rapports asymétriques. Cela dit, c'est possible que j'aie raté une étape ou mal compris quelque chose...

  3. Bonjour ! Très bon article qui résume bien la situation.
    Attention par contre, le lien vers le texte "Lever les résistances avant le sexe" est mort, le site semble avoir retiré l'article ! Il est toujours trouvable dans le cache cependant : http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:2ctT174FyhIJ:www.avenueseduction.com/lever-les-resistances-avant-le-sexe/+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=nl&client=firefox-a

    Bonne continuation en tout cas et merci pour ce blog très instructif.

  4. l'hétérosexualité au sens d'hétérocentrisme implique un homme et une femme avec un homme qui bénéficie de privilèges masculins. ce qui implique une dissymétrie dans les rapports. quasi insolvable d'ailleurs.

    • Donc tant qu'il y aura des gens attirés (de façon plus ou moins exclusive) par le sexe opposé, il n'y aura jamais d'égalité homme-femme ? C'est assez déprimant, comme vision...

      • non. tant qu'il y aura des privilèges accordés aux hommes, il n'y aura pas d'égalité, y compris dans l'hétérosexualité.

        • Okay. J'avais cru comprendre que la phrase à la fin de l'article impliquait que c'est l'hétérosexualité qui impliquait privilèges et dissymétrie. My bad, donc...

          • disons quand même qu'il me semble rapide de voir uniquement l'heterosexualité comme l'attirance pour quelqu'un du même genre.
            l'hterosexualité est aussi un régime social et politique vue comme une norme (hétérocentrisme) oppressive.

          • Effectivement. Mais, du coup, on dépasse le "simple" cadre de la sémantique si on veut distinguer la dimension plutôt personnelle de l'hétérosexualité (un rapport d'individu à individu) de sa dimension sociale (tous les stéréotypes qui l'accompagnent)... tout en gardant bien à l'esprit qu'on ne peut séparer totalement ces deux aspects et qu'ils interagissent constamment.

          • Là où les féministes et les homosexuels sont forcément alliés objectifs, c'est parce que le schéma traditionnel est : la formation d'un couple est la soumission d'une femme à un homme.

            Si on admet qu'un couple est formé de deux individus égaux qui se sont choisis, l'asymétrie homme/femme n'est plus indispensable.

            De la même façon, j'avais argumenté que le mariage homo n'était possible que si on accepte que le mariage est l'union de deux égaux et non la soumission de la femme à l'homme. Et autoriser le mariage homo enfonce le clou, parce qu'il prouve qu'il existe des couples où un des deux sexes n'est pas inférieur !

  5. [...] Pick up artists, séduction à la française et consentement des femmes [...]

  6. Jeune étudiante, naive, j'ai pris de gros rateaux. L'amour, le désir ou l'envie n'étant pas le problème, j'ai demandé conseil à une personne plus mure et expérimenté.
    Elle m'a dit, en très résumé, d'avoir l'air moins intelligente, et de demander de l'aide : jouer aux idiotes gentilles mais qui ont besoin d'un homme pour tout, dont pour ouvrir une porte, une bouteille, ect. Ne pas prendre les devants, non plus.

    En bonne scientifique, j'ai donc testé sur 7 ou 8 cobayes. J'ai eu nombre de cobayes -1 déclarations d'amour. Le -1 étant homo...

    Et le résultat m'a déprimée. Donc oui, la séduction "classique", asymétrique, marche bien mieux (en proportion) que lorsque les deux partenaires sont réellement sur un pied d'égalité. Il y a heureusement des exceptions.

    • A,

      Par souci de rigueur scientifique, je voudrais confirmer que la réciproque est aussi vraie, à savoir que, pour un homme, séduire sans chercher à se mettre dans une position de supériorité, faire pour, guider ou choisir pour deux est aussi une gageure. Contrairement à toi, je ne me suis jamais résolu à jouer le stéréotype de mon genre (en admettant que j’en sois capable) pour tester. Cela m’a désespéré un temps, j’étais dans une impasse, et puis finalement je crois que j’ai appris à reconnaître les femmes qui ne pratiquaient pas le jeu de séduction classique et les choses se sont arrangées peu à peu. Le jour où j’ai rencontré ma femme nous avons choisi ensemble quoi faire, j’ai payé le resto, elle a payé le spectacle (ou l’inverse, j’ai oublié), nous avons fait l’amour le soir même sans nous poser de questions sur la façon dont ce sera perçu et avons continué notre relation de manière très spontanée, bien heureux de ne pas avoir à jouer de rôle l’un par rapport à l’autre pour entretenir le désir ou nous rappeler les premiers instants partagés.

      Tout cela pour te rejoindre sur la conclusion : heureusement, il y a des exceptions.

  7. [...] Pick up artists, séduction à la française et consentement des femmes » Crêpe Georgette [...]

  8. Bonjour, merci pour tes articles, j'ai découvert ton site récemment et ça fait réellement du bien de savoir que des personnes censées existes, mieux : que je ne suis pas cinglée.
    Cet article en particulier met vraiment le doigt sur un problème qui me touche régulièrement, cette norme de la femme réservée et indécise nous colle à la peau! J'ai souvent choqué par ma franchise dans les rapport car je déteste minauder et je sais ce que je veux (comme tout le monde en fait, on va dire que j'exprime ce que je veux). Et c'est vrai que l'homme en face interprète facilement ça comme de l'agressivité, il est déstabilisé et sa pire réaction, la plus fréquente à mon grand désespoir, est de me voir comme une salope, donc comme un objet etc. Rien que le terme "fille facile" tiens! parce qu'il faut être difficile, éveiller l'instinct du conquérant! Donc par la force des choses je me suis calmée, je ne confie mes aventures qu'aux personnes qui partagent mes opinions, avec les autres je les nie. Et puis quand on s'est pris quelques claques dans la gueule (du genre tomber amoureuse et coucher parce qu'on en a envie et se rendre compte qu'on est qu'un objet pour l'autre), forcement on devient méfiante et on cède moins à nos propres désirs. J'ai même tenté aussi le coup de la fille teubée et impotente et c'est clair que ça cartonne! Mais le naturelle revient très vite au galop! Moralité pour moi, être soi-même, sans cesser de se remettre en question et ne pas s'attarder sur les cons! (et connes bien sur!)

  9. Qui a dit
    « Les étrangers qui viennent étudier chez nous veulent apprendre le français, la culture française, la séduction à la française - et les mots pour le dire. »

  10. [...] Pick up artists, séduction à la française et consentement des femmes » Crêpe Georgette [...]

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