Il n'y a pas si longtemps, je débarquais dans la cuisine, rouge, échevelée, en train de hurler, où des potes étaient en train de prendre un verre : "putain mais j'en ai plein le cul de tous ces connards machistes, dix ans que j'explique les mêmes choses, rien n'avance".
Un des copains m'a demandé très calmement ; "mais pourquoi tu t'infliges tout ca ?".
Je lui ai balancé à la gueule que c'était vraiment une question de privilégié, vraiment une question d'un mec qui peut ne pas s'emmerder avec le féminisme.
La veille un connard quelconque m'avait traitée de salope dans le métro et je crois, que, toutes, égoïstement, peut-être on est là pour que peut-être un jour des connards arrêtent de nous traiter de salope dans le métro.
Je ne connais pas une femme, pas une qui n'a pas subi un jour du sexisme ; cela va aller de la réflexion en apparence anodine au viol mais il y a un continuum là dedans (que vous êtes nombreux à ne pas vouloir voir, ok on est d'accord). Alors beaucoup de femmes cèdent à tout cela ; je peux comprendre cela (du moins aujourd'hui où je suis de relative bonne humeur). Je peux comprendre qu'on n'ait pas envie de lutter contre cette masse de comportements sexistes, qu'on se dise qu'il est beaucoup plus facile de les subir, qu'en restant dans le rang, on se contente de subir du sexisme bienveillant et basta. Je peux comprendre que des femmes n'aient pas envie de voir et d'analyser que les masses d'humiliations, pression,s injonctions qu'elle subissent ne sont pas des faits isolés car s'en rendre compte revient souvent à se pourrir la vie et à ne plus jamais être en paix.
Et j'avoue que les quelques hommes qui viennent, outrés, nous dire que c'est un scandale que des femmes ne soient pas féministes, je leur dirais d'aller gentiment checker leurs privilèges avant de faire la leçon sur ce qu'on doit faire ou pas.
Etre féministe c'est une urgence et une urgence absolue pour éviter de subir le sexisme à nouveau ; on n'a pas forcément le choix.
Certaines vont voir que la gestion de l'IVG en France est une calamité et vont lutter contre.
Certaines vont voir que la profession qu'elle rêve d'exercer est gangrenée par le sexisme.
Certaines ne veulent plus être frappées.
Certaines ne veulent plus être violées.
Certaines ne supportent plus d'être traitées comme des animaux souriants, des chats mignons, à qui on fout une tape sur la tête et qu'on renvoie quand il s'agit de causes importantes.
Le féminisme n'est pas de la peinture sur verre, un nouveau loisir qu'on s'est trouvé parce qu'on s'emmerdait un peu. j'aimerais bien ne rien voir, vivre dans une bienheureuse ignorance où le frotteur du métro est "un simple taré et un impondérable" et le violeur un fou".
Je ne peux pas. Je vois des dizaines de femmes - j'en suis parfois - se rendre malades à force de luttes, à force d'insultes.
On ne mesure pas le sexisme (comme on ne mesure pas le racisme, l'homophobie, la transphobie). Je peux le comprendre c'est douloureux à voir. Qui a envie de réaliser qu'il/elle est partie prenante d'un système causant des dizaines de milliers de viols ? Qui a envie de réaliser qu'il/elle est pétri de réflexes machistes ?
Je voudrais perdre ce sentiment d'urgence parfois.
17 réponses sur “Le sentiment d’urgence”
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Ce que tu dis là me ramène à un commentaire lu je ne sais plus ou (mais peut importe) et qui disait en résumé "ce combat ne sert à rien, je n'en verrai jamais le résultat de mon vivant".
Longtemps j'ai pensé cela, que c'était mieux de composer avec le présent, plutôt que de s'infliger des galères pendant toute sa vie sans même être sur que les choses changes.
La vie nous pousse toujours vers ce raisonnement, parce qu'aussi blindé qu'on soit, aussi convaincu de notre cause (quelle qu'elle soit) et bien on ne veut plus avoir simplement la foi. Mener ces combats et tout autant une nécessité quotidienne qu'un acte de foi. Foi en les autres, mais aussi foi en sa propre capacité à changer.
Pour ma part, je sais que j'ai contribué et que je contribue encore a des systèmes comme le sexisme, le racisme etc... je l'ai fait parce que j'ai été influencé par mon environnement et mon acculturation, et je continue a les perpétuer parce que je ne réalise pas toujours que j'agis mal... ou bien parce qu'en faisant le calcul, je m'autorise par facilité d'agir ainsi. Parfois parce que ce n'est pas toujours simple a mettre en pratique, ou parfois par lâcheté parce que ça ne fait pas forcement bien vis à vis du groupe. Ce genre de calcul est bien entendu hypocrite, mais c'est humainement difficile de ne pas céder.
Pour autant je me dis que ce qui compte ce n'est pas de réussir à chaque fois à avoir le bon comportement, ni à réussir toutes les luttes. Ce qui est important c'est d'être conscient qu'il faut agir, et de saisir chaque occasion quant on le peut : on ne gagne pas toutes les batailles, mais on doit en mener le plus possible.
Quant il s'agit de défendre son idéal, il n'y a rien de pire que l'inertie et l'abandon. Si je fais ce que je fais, c'est tout simplement parce que je crois que c'est ce qui est juste. Même si je sais que je ne changerai pas les choses, je me dois de défendre ce qui est juste, rien que pour le principe.
Dès lors que je me suis mis à penser de la sorte, la défense des idéaux m'a semblé un poids bien plus facile à porter sur mes épaules.
Ce texte est beau !
« Moi j’ai tout donné mes illusions
Et ma vie et mes hontes
Pour vous épargner la dérision
De n’être au bout du compte
Que ce qu’à la fin nous aurons été
À chérir notre mal
Le papier jauni des lettres jetées
Au grenier dans la malle »
Louis Aragon, Le roman inachevé
Je vais imprimer ce billet en 150 (mille) exemplaires et le distribuer chaque fois qu'on me dira "mais pourquoi tu t'énerves pour ça ?". Parce que "s'en rendre compte revient souvent à se pourrir la vie et à ne plus jamais être en paix."
Merci beaucoup
pfiou. ça résonne salement. mais merci de le dire, comme toujours, nettement et sans fioriture, mais sans désespoir non plus. ça fait du bien à lire, quand on sort de plusieurs heures d'étalage tranquille de privilèges masculins...
J'adore ce que je viens de lire. Je ne voyais rien puis un jour j'ai ouvert les yeux, la colère est arrivée et ne m'a plus lâchée. Maintenant j'ouvre ma gueule, je ne laisse plus rien passer, je lutte chaque jour (oui, chaque jour, car on est entouré de sexisme, partout). C'est fatigant mais je sens que je n'ai pas le choix. Nous n'avons pas le choix. A force de lire, voir et entendre des trucs dégueulasses on est remplies à en vomir, mais il faut bien que ça sorte, sinon on va rester malades. J'ai ouvert les yeux au passage certaines copines, comme quoi, ça ne sert pas à rien.
Tu as raison, on ne mesure pas le sexisme. Parfois je me tue à expliquer l'invisible, à des proches, à mon homme… Depuis que je vois, j'ai l'impression d'un trou sans fond, mais je tiens bon (pour l'instant).
[...] [...]
[...] et mes chats, mais quelque chose m’en empêche. La jeunesse peut-être. Et puis j’ai lu la charge de Valérie, qui m’a remis en tête ses mugissements quotidiens, et je me suis dit qu’après [...]
A propos de sentiment d'urgence, y a t il des féministes s'interrogeant sur la non mixité des toilettes et des vestiaires ?
C'est affreux pour les transgenres aussi, qui ne peuvent véritablement aller nulle part.
Je pense aussi que cela, qui a l'air anodin, entretient l'idée de classes absolument disjointes "hommes" et "femmes", voire de classes qui n'ont pas les mêmes besoins. Comme si on était plus intime avec un inconnu(e) parceque cette personne a le même sexe biologique...
Pour ma part je le fais remarquer occasionnellement (en évoquant Goffmann et son analyse des toilettes "non-mixtes" comme espace de ségrégation, quand je veux me la péter grave). Mais à ma connaissance il n'y a pas de groupe, et quasi pas de discours organisé sur ce sujet, ni sur les discriminations "usuelles et quotidiennes" (la différence de prix H/F chez le coiffeur par exemple... assurances auto et entrée en boite de nuit sont évoquées de temps à autre, mais plutôt sous l'angle "lutter contre l'idée que les femmes conduisent mal" et "analyser en quoi la gratuité/le prix réduit des boites et clubs pour les femmes révèle qu'elles sont considérées comme "marchandises" à destination des clients masculins". J'ai rarement lu des critiques sur le fond, sauf une évocation du coiffeur ici, de mémoire. Ca m'intéresserait de faire un truc sur le sujet, mais avec mes dispos limitées et fluctuantes, ça reste coincé entre deux neurones...
Le fait que tu l'évoques pourra peut-être lancer un truc, qui sait ? (actions... textes en ligne et/ou tractés IRL... j'en sais trop rien). Pour ma part je veux bien que Valérie communique mon mail si quelque chose s'organise (je suis en Île de France, Val de Marne, en petite couronne)
Désormais quand on me dit "ah non tu ne vas pas encore nous gonfler avec le féminisme", je réponds "promis j'arrête dès qu'il n'y a plus de sexisme".
Quelque chose me dit que j'en serai encore à m'énerver sur mon lit de mort...
En ce qui me concerne, c'est marrant parce que j'ai l'impression que tant que j'étais dans l'urgence et l'omniprésence du sexisme, je ne voyais rien (ou pas grand-chose). J'étais dans le grand bain du patriarcat quotidien, et tellement submergée, tellement le nez dans le guidon que je fermais les yeux. Je faisais partie de celles qui disent "moi je suis pas féministe, je suis pour l'égalité" (sérieusement, si je pouvais voyager dans le temps, j'y retournerai pour me balancer des caillasses) !
Et c'est un changement de vie (déménagement à la campagne euh, très isolée), le fait de ne plus prendre les transports en commun, de ne plus voir les affiches de pub, qui a fait que j'ai pu souffler un peu et c'est à ce moment que ma conscience féministe est arrivée. J'ai pu réaliser que plein de trucs dans ma vie (pas la meilleure partie, hein !) m'étaient justement arrivés parce que j'étais une femme. C'est comme si avant, toute mon énergie était consacrée à survivre à ça, et que je n'avais même pas la force d'être en colère (en plus, c'est pas beau une fille en colère, c'est un peu trop agressif !).
Et quand j'ai pu me reposer un peu la colère est arrivée, une vague de rage immense. Je ne sais pas vraiment quel a été le déclic, mais j'ai l'impression aujourd'hui de voir la matrice du patriarcat, partout, tout le temps, au resto, dans la rue, chez des copains que je croyais à mille lieues de ça, chez mes proches. Et dans ma tête aussi, où il reste encore plein de trucs à déconstruire... Alors j'interviens de plus en plus, je passe de plus en plus pour la féministe chiante de service, mais je sens que mon émancipation est à ce prix !
Je profite d'ailleurs de ce premier commentaire pour vraiment te remercier Valérie, et aussi tous ceux qui par leurs commentaires, leurs discussions font que je me sens moins seule...
Complètement d'accord avec toi, il y urgence. Au delà du sexisme "ordinaire" et "quotidien", le sexisme se fait de plus en plus sournois: structurel et structurant. Je veux dire par là qu'il s'est fait un allié de taille: le féminisme BCBG de l'entre-soi.
Je ne pense pas qu'aux institutions politiques, mais aussi et surtout à certain-e-s de celles/ceux qui prétendent lutter contre le sexisme en étant défenseurs d'un féminisme uniforme, univoque et il faut le dire, ethnocentré. Ce féminisme excluant m'est tout aussi insupportable que le machisme primaire: comme tu le dis justement Valérie, il s'agit des mêmes "pressions, injonctions, humiliations".
J'en ai parfois physiquement mal. Oui, il y a urgence au féminisme, un féminisme ouvert et intersectionnel, cad non raciste, non homophobe.
C'est quoi un féminisme ethnocentré?
Des féministes qui penseraient que certaines pratiques seraient admissibles dans certaines cultures et pas dans d'autres?
merci
Il faut se baser sur des études sociologiques comparatives avec d'autres civilisations pour comprendre d'où vient le sexisme en France. La peur domine le monde, on ne change pas une réaction reptilienne sans en comprendre la cause. Sinon c'est un combat perdu d'avance voir même dangereux car sans concept ça produit des luttes contre productives (extrémisme, théorie du genre concernant le féminisme).
Les luttes se multiplient et divisent les gens. Il faut fédérer les uns et les autres dans un projet commun où tout le monde s'élève et n'ait plus peur. Nous sommes à l'aube de ce projet, faisons qu'il œuvre pour le bien (ce n'est pas la volonté de tout le monde).
J'ai été éduquée par mes parents de la manière la plus équitable qui soit: j'ai grandi en étant persuadée (et j'ai raison) que la fille était aussi bien que le garçon, que la femme était l'égale de l'homme. En sortant de l'enfance, j'ai été de plus en plus confronté au sexisme: toute la société me balançait à la figure qu'être une femme c'est être une idiote, une salope ou une victime. Ou tout ça à la fois.
Etant de caractère très extrémiste, cette injustice m'a mise très en colère. Je suis encore en colère aujourd'hui. Je suis en colère tous les jours, en fait. Et j'agace. J'énerve les gens avec mes remarques féministes, je les gonfle avec mon militantisme, je suis marquée au fer rouge du dévalorisant titre de "féministe" car oui, dans la bouche des gens, cela sonne comme une vieille blague, "Ah tiens c'est la féministe de service!"
Et bien oui, je suis la féministe de service, ne vous en déplaise. Je ne suis pas là pour vous plaire, mais pour vous faire réagir.
Je suis en école d'ingénieur agronome, composée à 80% de filles.
Les mecs règnent pourtant en maîtres, les filles se taisent ou pire, cautionnent par leur comportement et leur discours. C'est abominable de subir et d'avoir l'impression de ne rien pouvoir faire pour changer les choses.
Rares sont les personnes réceptives au message. La plupart des gens sont gênés et préfèrent rester dans le moule afin de continuer à mener leur petite vie tranquille.
Je suis fatiguée d'être en colère, fatiguée de voir le mal partout et de ne pas pouvoir le signaler sans me prendre des insultes en pleine gueule, fatiguée de patauger.
Mais je suis encore en colère.
Je me prends des mains au cul dans la rue.
Je me fais détaillée du regard à chaque fois que je porte une jupe courte.
je subis des remarques, des blagues, des réflexions machistes à longueur d'années.
On me dit que j'exagère quand je proteste. Que je suis trop excessive. Que ce n'est pas grave. Que c'est pour rire.
Ah parce que c'est drôle d'être considérée comme inférieure par le monde entier?
Pourquoi ce que m'ont appris mes parents n'est pas vrai?
Qu'est-ce que ça fait d'avoir un vagin entre les jambes et pas un pénis? ça atteint mes capacités intellectuelles? ça fait de moi une trainée potentielle?
Et pourquoi autant de FILLES autour de moi sont machistes?? Comment c'est possible d'être une femme et de dénigrer quand même le sexe féminin?
Merci à toutes celles qui tiennent ce genre de site. Vos articles sont des bouffées d'oxygène, je les lis et les relis, je navigue sur le net en m'accrochant à l'idée que je ne suis pas la seule à être en colère.
Et je continue d'espérer qu'un jour la colère portera ses fruits.