Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Nela.
Bonjour, peux-tu te présenter ?
Bonjour! Je m'appelle Nela, j'ai 24 ans, je suis commence un internat en anesthésie-réanimation dans un mois. Je suis en couple sans enfants, et je viens de commencer il y a peu de temps un tumblr féministe : Je suis une publication sexiste.
Depuis quand es-tu féministe et quel a été le déclic s'il y en a eu un ?
Je pense que c'est un ensemble de petits déclics qui se sont opérés en moi depuis mon adolescence. Mes parents ne sont pas particulièrement féministes, mais ils m'ont éduqué de façon très ouverte et cultivée, ils ont attaché beaucoup d'importance à ça. J'avais quelques barbies et des jouets assignés aux filles, mais aussi des legos, des jeux éducatifs et un train électrique. Je me rappellerai toujours du jour où mon grand-père ingénieur m'a montré plusieurs de ses médailles gagnées au boulot, et qu'il m'a dit qu'un jour j'aurai les mêmes.
Je suis donc partie dans mon adolescence avec une certaine assurance. Et j'ai commencé à percevoir certaines choses dans les rapports envers les femmes que je trouvais injustes. Il faut savoir que je viens de Pologne où le sexisme est beaucoup plus ancré dans la société, et où entend beaucoup plus de choses contre l'IVG (puisque c'est interdit), sur la sacralisation de la maternité féminine, le rôle protecteur de l'homme et toutes ces bêtises. Du coup, il y a eu un effet de contraste important qui m'a fait comprendre que rien n'était naturel et que tout était question d'éducation.
Il y a un exemple qui m'a beaucoup marqué en Pologne justement peut-être un peu le déclic si il y en a eu un: j'étais au mariage d'une cousine éloignée dont le mari prenait le nom parce qu'il s'appelait "Nu" en polonais. Je précise qu'à l'époque j'en avais rien à faire de tout ça, mais quand j'ai entendu ça, je me suis dit, "oui ça semble logique, le type a un nom difficile à porter, c'est tout à fait compréhensible". Et puis tout les hommes des trucs du style: "Moi je pourrais pas, ce serait déshonorant". Et c'est là que je me suis dit: Ils parlent du nom de leur femme qu'ils sont censés aimer là, d'un être humain qui leur est égal, et pourtant ils trouvent ça déshonorant de porter leurs noms alors que pour les femmes c'est normal de porter le nom de leur mari depuis des générations. Il y a un problème quelque part. Maintenant, ça fait 8 ans qu'ils sont mariés et vous pensez qu'ils s'en sont remis? Ben toujours pas. Il y a toujours un Tonton Roger pour rappeler que "il a pris le nom de sa femme, hahaha, ce pauvre soumis"
Enfin, j'ai commencé à lire les sites féministes comme Vie de Meuf, et j'ai recommencé à me dire à plein de reprises "Ah ben, là aussi il y a un problème". J'ai commencé à comprendre que des choses qui semblaient normales à tout le monde ne l'étaient pas.
C'est ainsi que je suis devenue féministe.
On entend souvent dire qu'il y a beaucoup de sexisme dans le milieu médical ; que peux-tu dire là dessus ?
Oui, c'est vrai.
Il y a déjà le sexisme classique du "Je comprends pas pourquoi les femmes choisissent des spés comme chirurgie et anesth-réa elles vont avoir des enfants plus tard" ou "Bon c'est bien si vous êtes médecins les filles, mais vous aurez des enfants donc chef de service c'est peut-être pas pour vous". C'est assez fréquent. Je me souviens d'un chef qui nous a dit avec un grand sourire qu'on viserait pas de carrière hospitalo-universitaire, parce qu'il y a les enfants et qu'il faut partir deux mois à l'étranger et qu'entre-temps notre ami/mari risquerait de nous tromper. Bref l'éternel sexisme du "une femme peut réussir sa vie, mais pas trop non plus, elle a des gosses", qu'on doit retrouver dans beaucoup de milieux...
Et puis il y a un sexisme plus spécifique que j'attribuerais à la mauvaise excuse du "On est médecins, on a un rapport détaché au corps humain, donc on peut se permettre de tout faire ou tout dire". Du coup, si on aime pas qu'un chirurgien nous fasse une remarque déplacée sur notre physique on est féministe hystérique ou coincée. Si on aime pas une paillarde ou une tradition de bizutage débile, on est coincées. Si on aime pas les dessins de levrettes à l'internat, on est coincées. Il y a pas mal de gens qui perpétuent tout ça au nom de la tradition carabine, et comme personne n'ose les contredire et que beaucoup (notamment de filles) sont d'accord avec eux ils sont persuadés que tout le monde pense comme eux. Sauf que non, j'ai discuté avec pas mal de gens qui n'aiment pas tout ça. J'ai eu des réactions d'étonnement quand j'ai dit que j'étais mal à l'aise de dormir dans la chambre de garde de gynéco, remplies de dessins obscènes. Moi personnellement, je trouve que ce sont des dessins qu'on m'impose en tant qu'étudiante/interne, parce qu'à moins de changer de job, je suis obligée de les supporter.
As-tu vu passer les articles sur les violences sexistes médicales et obstétricales ; qu'en as tu pensé ?
J'ai jamais vu de touchers vaginaux sans consentement ou des trucs comme ça, je dis pas que ça n'existe pas, j'en ai pas vu, mais je trouve ce que je lis révoltant.
Lors de mes 10 semaines, en gynéco ça s'était bien passé, tout le monde était plutôt cool avec les patientes, à part un sage-femme qui a dit à une femme qui voulait une stérilisation définitive à 38 ans après 3 gosses "Non, ça va pas être possible, après vous allez rencontrer un autre homme et tomber amoureuse". C'est aussi illégal qu'infantilisant. Après tout ce que je lis sur #Payetonutérus ne m'étonne pas plus que ça, c'est souvent ce qu'on entend en off. C'est lié à ce que je disais dans la question précédente. Certains médecins ont tellement désacralisé le corps humain qu'ils en oublient que les autres ont de la pudeur. Ca me choque beaucoup. Je suis aussi patiente et il y a des choses que je ne supporterai pas entendre. Il faut que cela cesse.
Tu disais que l'IVG est interdit en Pologne ; as-tu connaissance de femmes autour de toi qui ont avorté ? Parle-t-on de l'IVG ou est-ce un sujet tabou ?
Pas en Pologne, non. J'en connais peut-être mais comme c'est clandestin, elles le crient pas sur les toits. J'y vais une fois par an quelques semaines faire quelques visites familiales, j'ai pas forcement les temps d'établir des liens de confiance suffisamment forts pour savoir ce genre de choses.
A chaque fois que je vais en Pologne, j'ai l'impression d'être dans une autre galaxie en ce qui concerne l'IVG; dans les séries et les émissions là où l'avortement est déculpabilisé en France, là-bas c'est une cascade d'arguments anti-choix classiques (tu ruinerais ton psychisme à vie...) C'est toujours difficile pour moi d'écouter ça. Ce qui n'empêche pas que beaucoup de gens ne partagent pas cet avis. Beaucoup commencent à en avoir assez des diktats de l'église catholique locale, et certains m'ont confié être pour l'IVG. D'autres en revanche, sont toujours très réacs. Dans l'ensemble, ça reste assez tabou comme beaucoup de choses liées au féminisme. J'ai beaucoup d'admiration pour les militant(e)s féministes, LGBT, pro-laïcité de là-bas qui sont encore plus stigmatisé(e)s qu'ici et qui doivent se sentir bien seules. J'assume bien mon féminisme en France maintenant, mais là-bas ça reste compliqué. Les préjugés sont plus tenaces.
J'ai parfois l'impression que le corps médical sera extrêmement difficile à faire évoluer en termes de respect des droits du patient et plus spécifiquement des femmes ? Qu'en penses-tu ?
Je pense qu'on parle d'une partie du corps médical. En 6 ans d'études j'ai vu de tout des respectueux, des bons, des mauvais, des je m'enfoutistes, des odieux. J'ai pas dit que tout le monde se comportait mal, je tiens à cette précision, beaucoup de praticiens se retrouveront jamais sur #Payetonuterus. Ceci étant dit, je pense que le corps médical ne se remet pas assez en question et est très récalcitrant à la critique. Et je m'inclus dedans des fois. On se fait régulièrement traiter de nantis malgré la charge colossale de travail qu'on a dans nos études et nos horaires de dingues, quand on se fait insulter ou agresser aux urgences, quand on fait des généralités qui sont perçues comme injustes par beaucoup. Ce qui se passe c'est qu'à force de réfuter toutes les critiques, on réfute aussi celles où nous sommes (du moins pour une partie d'entre nous) critiquables. Beaucoup ont tendance à prendre toute critique pour une agression.
De plus comme je la disais, les médecins ont souvent un sens de la pudeur moins important que celui du reste de la population, ce qu'ils peuvent oublier dans les rapports avec le patient. C'est paradoxal parce que c'est à de respecter ça le plus.
Et puis un médecin sexiste est un médecin comme un autre, beaucoup de choses sont banalisées et les mentalités changent lentement. Ce qui est particulièrement gênant dans un domaine qui touche autant l'intimité.
Tu parles de paillarde ou de dessins de levrette, peux-tu nous en dire plus et nous dire à quoi ils se réfèrent et pourquoi autant y sont attachés ?
Je parle de chansons paillardes chantées lors d'événements carabins qui consistent à 85% à parler d'alcool et de sexualité féminine de manière obscène. En ce qui concerne les dessins de levrette, c'est qu'un exemple parmi d'autres de dessins à contenu porno qu'on trouve dans les internats de médecine et les chambres de garde, qui personnellement me saoulent. Des fois, on fait passer beaucoup de manque de respect pour de la liberté sexuelle.
Pourquoi ils sont attachés à tout ça? Aucune idée, faudrait leur demander, c'est quelque chose qui me dépasse.
Tu viens de lancer le blog Je suis une publication sexiste ; dans quel but l'as-tu lancé ?
J'ai eu envie de faire ce blog après avoir lu 50 nuances de Grey et un article sur lequel je suis tombée par hasard intitulé "15 raisons inavouables pour lesquelles les femmes acceptent de coucher." que j'ai trouvés effroyables d'un point de vue de stéréotypes sexistes. J'avais rédigé deux billets humoristiques sur Facebook sur chacun d'entre eux, et j'ai eu de bons retours. Je me suis rendue compte que ça me plaisait et que je le faisais plutôt bien, donc j'ai décidé de faire un blog de coups de gueule humoristiques contre ce genre de choses qui ne manquent pas. J'ai envie de casser l'image de la féministe pas drôle qu'ont les gens à tort (en fait, les féministes ont beaucoup d'humour, c'est juste qu'elles se moquent des sexistes, pas des femmes), de faire quelque chose de sympa et d'accessible à quelqu'un qui n'y connaît rien tout en insérant des pistes de réflexions et de la pédagogie de temps en temps.
Beaucoup de gens te diraient que ces publications, ces publicités sont parfaitement anecdotiques et "qu'il y a des combats plus importants à mener" que peux-tu répondre à cela ?
Que tout est lié. Moins les femmes sont abreuvées d'articles sans intérêts, moins elles éprouvent le besoin de rentrer dans des stéréotypes souvent réducteurs, moins elles sont assimilées à des objets, plus elles ouvrent leurs champs des possibles et plus elles sont fortes et confiantes, et à même d'acquérir plus de droits et d'égalité et à se défendre. Les femmes ne réussissent pas moins parce qu'elles sont moins performantes ou qu'elles font des gosses, elles réussissent moins parce qu'elles subissent une pression importante et parce qu'on rabaisse leur confiance en elle.
Quand RTL crée un site pour les adolescentes et les jeunes femmes qui n'a que 4 rubriques (mode-beauté, psycho-sexo, confessions, lifestyle) et qui regorge d'articles stupides, il réduit le champ de vision des jeunes femmes en construction, alors qu'une jeune femme de 18 ans a bien d'autres préoccupations que de savoir pourquoi elle doit pas mettre des jeans troués ou quelle femme de footballeur elle serait. Il y a des milliers de choses qui peuvent intéresser une jeune femme à condition qu'on lui dise que c'est pour elle.
Quand les magazines en tout genre trouvent normal que le Prince Charles décide que les gardes du corps de Kate Middleton soient des femmes parce que le pauvre homme malheureux a été traumatisé par la liaison de Lady Di avec son garde du corps, on fait passer le message que c'est normal qu'on surveille les femmes.
Quand on ose parler de la féminité d'une canette d'Orangina qui serait plus belle, plus fine plus élégante., on ne valorise pas les femmes. On assimile des objets à des femmes. Ce qui est plus ou moins pareil que d'assimiler des femmes à des objets. Et le féminisme au fond ça veut juste dire que les femmes sont des être humains à part entière.
On écrit des articles pour dire que les femmes couchent par vanité, superstition ou reconnaissance, alors que les hommes ne couchent que par envie. Et on perpétue le fait que les hommes sont des bêtes en rut, et que les femmes des créatures chiantes et compliquées, et qui coucheront avec vous si vous payez un resto assez cher ou que vous leur faites de la peine, parce qu'elles seraient pas sympa de vous refuser quoi que ce soit.
ELLE qui se dit féministe ose se demander si la fellation est le ciment du couple, et nous fait comprendre que c'est un du de la femme pour l'homme. Super, l'idée de consentement.
La preuve c'est qu'un bouquin aussi pathétique et mal écrit comme 50 nuances de Grey a un succès phénoménal auprès des femmes, alors qu'il ne fait que romantiser les relations abusives et le harcèlement. Le gars trace le téléphone de la fille dans le "bouquin" ce qui est même pas légal et l'héroïne trouve ça mignon et les lectrices avec elle. Uniquement parce que le type est beau et riche. Mais comme toute femme est tombée 100 fois sur un test débile similaire à celui sur les femmes de footballeurs (qui sont riches) ou un article minable où on lui dit : "Et puis bon, on ne va pas mentir, toute femme est sensible à l'effort qu'une personne s'est donnée pour elle. Ou à l'argent", beaucoup ne verront même plus le problème.
On retrouve beaucoup cette idée de soumission et de dépendance de la femme envers l'homme au final dans la presse féminine, et à travers ça on ne peut que rabaisser l'importance de leur vie professionnelle, que les induire en position de dépendance et de vulnérabilité dans le couple.
On rabaisse constamment la femme sous toutes ses formes sous couvert d'humour ou d'articles légers, alors qu'on devrait leur dire "Vous êtes des êtres humains qui peuvent tout faire et on vous DOIT un respect non négociable".
Du coup je prends tous ces articles, je les décortique, les critique, les ridiculise et m'en sert aussi de base pour faire un peu de pédagogie et faire passer le message féministe avec le talents que je pense posséder, à savoir le sarcasme et l'ironie.
Je rajouterais que la situation des femmes en France est bien sûr bien meilleure que dans d'autres pays, mais je suis convaincue qu'une égalité femmes-hommes fortement avancée et prise au sérieux dans les pays développés et modernes ne peut que pousser les autres à accorder aux femmes leurs droits fondamentaux, surtout dans un monde hyper-connecté qui avance à toute vitesse.
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