Métro parisien, heure de pointe. Ce moment où le graal à atteindre est cette fameuse place contre la porte devant un strapontin levé. Les écouteurs dans les oreilles.
Le regard entre, il se bloque à 30 cm de moi. Je connais bien le regard, je l'ai rencontré à l'âge de 13 ans dans les yeux de mon prof de maths et depuis il ne m'a jamais lâché. Il est grand ou petit, gros ou mince, riche ou pauvre. Il est toujours il.
Il passe sur mon visage, descend. Les seins. Il estime, il soupèse, il fantasme, il suppose, il rêve, il imagine. Le regard a ce drôle de sourire, ce sale demi sourire. Il sait ce que je ressens, il aime ce que je ressens. Il aime l'idée d'humilier, de mettre mal à l'aise, nous voir remonter le sac, croiser les bras, baisser les yeux, fermer le manteau, tourner la tête. Notre gêne l'excite.
Le regard laisse sur la peau une trace de limace, ces grosses limaces rouges qui sortent après la pluie, écœurantes lorsqu'on les écrase. Partout où il passe, le regard laisse cette trace, infime, mais présente de salissure, de meurtrissure infime mais réelle.
J'ai envie de m'engloutir sur place, j'ai envie de raboter mes seins au cutter, tout couper comme si cela changerait quelque chose. Je donne mon féminisme tout entier pour que le regard se pose ailleurs, sur d'autres seins et d'autres fesses.
Le regard jouit, il a percé le masque d'impassibilité. Il sait que je suis mal à l'aise. Il sait que je feins, que je simule.
C'est compliqué de décrire ce qu'on ressent face au regard. C'est compliqué de décrire l'impression de salissure et d'humiliation mélangées à une totale impuissance. Que faire ? Se mettre à lui hurler dessus d'arrêter de nous regarder ? Voilà qu'après avoir voulu les castrer, les féministes se mettent en tête de vouloir aveugler les hommes. "Mais enfin je ne faisais rien de mal, je l'ai juste regardée, elle est folle". Ai-je envie de mener un combat pour un regard, pour ce regard ? Combat perdu d'avance, rentrer dans le combat lui montrerait que je l'ai remarqué, ce qu'il souhaite.
Comment décrire le regard. Ce regard qui veut te faire sentir morceau de viande, détritus bon à percer, à trouer, à pénétrer, à humilier, à transpercer.
Il faudrait que j'affronte le regard. Je l'ai fait, parfois. Parfois je n'ai juste eu pas le courage. Pas l'envie. Pas la force. On nous éduque à craindre le regard, on nous éduque à le subir, à se taire, à le minimiser, à se dire qu'on exagère. Cela n'est qu'un regard, pense un peu aux femmes violées.
Je regarde le regard. Je fais en sorte qu'il croie que je le regarde mais je regarde, loin derrière lui, je transperce sa tête, je suis bien loin derrière lui. Les minutes sont des heures. Un simple regard à affronter et je suis épuisée. Chaque jour, le metro. Le regard part. Le regard a laissé sa vilaine petite trace sur moi et je suis fatiguée, le regard me coule dessus comme un crachat.
Fait-elle du cinéma pour un simple regard. Si on n'a plus le droit de regarder les filles à présent. Elle s'imagine des choses. Elle fantasme. Laide comme elle est en plus. Un oedipe mal réglé encore un. Elle est vraiment fragile. Elle veut quoi, qu'on ne drague plus c'est ça ? La saleté est dans son oeil , c'est ce qu'elle veut au fond qu'elle décrit. Voilà qu'elle s'attaque au regard à présent. Elle a des problèmes quand même.
Je me demande combien de femmes connaissent ce regard, combien sauront de quoi je parle ou elles se rappelleront de ces moments insupportables, anormaux mais normaux, atroces mais banals où un simple regard devient une salissure, une blessure, une attaque.
Je n'ai rien à faire contre le regard ; on m'a vendu que c'est un hommage, un impondérable du désir masculin, ce que veulent toutes les femmes.
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