L'Afrique noire n'est traditionnellement pas un continent de fumeurs. Il devient de plus en plus difficile, pour les cigarettiers, de conquérir des marchés en Occident ; le marché africain était donc une cible de choix. (ps ; je vais un peu rapidement en disant "l'Afrique" ; certains pays ne sont pas ou moins concernés). Dans certains pays seules 10% des femmes sont fumeuses (20% des hommes) un des taux les plus bas au monde. En revanche ce sont les jeunes qui fument le plus dans des pays où ils représentent la tranche de la population la plus forte. Au Niger une enquête a relevé que 28.5% des enfants entre 12 et 14 ans fument. Ce sont donc des marchés très intéressants pour les cigarettiers (lien à lire dans son intégralité) ; avec un nombre de consommateurs en continuelle expansion.
Slate nous apprend que la consommation de cigarettes a progressé de 62% entre 1995 et 2000. Evidemment les conséquences seront dramatiques avec 7 millions de victimes cu cancer du poumon prévues dans les PVD soit 70% du nombre total de victimes.
Les cigarettiers ont parfaitement réussi à implanter leur business model face aux spécificités africaines à grands coups de campagne de pub et de com très efficaces. Ils offrent des cigarettes bonbons aux enfants devant les écoles primaires, puissent passer ensuite devant les collèges et lycées pour offrir cigarettes et goodies aux adolescents. Ils sponsorisent également des évènements sportifs ou culturels de grande ampleur, voire offrent même des bourses aux étudiants. Ainsi, en Côte d’Ivoire, fin 90's, début 2000, le football est sponsorisé par Craven "A". En 2006 - et c'est peut-être là que l'écoeurement nous gagne - British American Tobacco a offert généreusement un château d'eau au village de Hamdallaye. Tout le gratin local a été invité avec forces boissons et nourritures. Curieusement, ce cadeau a été fait quelques jours avant le vote d'une loi anti tabac restée lettre morte. Encore plus étonamment, le château d'eau n'a jamais été relié à des pompes ; il a fonctionné deux jours.. le temps que l'eau dont on l'avait rempli par camion citerne s'épuise.
(Camion publicitaire à Conakry)
Il n'y a pas encore de plan à grande ampleur lancé en Afrique sur ce problème, qui ne tardera pas à devenir majeur, tant les missions et gouvernements sont focalisés sur le sida et le paludisme, qui sont evidemment des priorités absolues mais que le tabac pourra dépasser en matière de problème public. Comme l'indique un des articles linkés, les fabriquants de tabac font d'immenses donations aux gouvernements par exemple pour lutter contre le paludisme ; il devient donc difficile ensuite de critique les méfaits de leurs produits. British American Tobacco par ses programmes philanthropiques offrent beaucoup d'argent pour les victimes de guerre et du sida en Ouganda et offre beaucoup d'emplois. De plus les cigarettiers ont su montrer aux gouvernements que le commerce du tabac est également juteux pour eux via les taxes et les emplois créés : en 2012, le ministre de l'industrie ougandais disait à la population que fumer était en quelque sorte un acte patriotique car cela rapporterait de l'argent à l'état. ces bénéfices sont largement exagérés ; seuls le Malawi et le Zimbabwé sont dépendants de la production de tabac. Les emplois créés sont extrêmement faibles et les taxes sur le tabac encore très faibles.
(Vendeur ambulant de cigarettes à Lomé)
Ce lien nous montre que beaucoup de familles pauvres, après avoir été appâtées, rendues accro au tabac, en viennent à dépenser énormément d'argent pour se payer leurs cigarettes, cigarettes d'ailleurs souvent vendues à l'unité afin de faciliter l'acte d'achat des pauvres ou des jeunes. L'argent dépensé ne sera plus consacré à des besoins élémentaires comme la nourriture, le logement et l'école.
La production de tabac dans de nombreux pays africains cause également des catastrophes écologiques. On déforeste à qui mieux mieux pour faire sécher les feuilles de tabac et pou fabriquer publicités et papiers d'emballage. La culture du tabac épuise les sols et les produits chimiques utilisés ont des conséquences sur les populations et l’environnement. Enfin cette industrie produit beaucoup de déchets. En Tanzanie par exemple la forêt a diminué de moitié en 50 ans.
Ce rapport, accablant montre combien les entreprises se sont partagés le marché en ciblant qui les plus riches, qui les plus pauvres.
La riposte des ONG et de certains gouvernements s'est mise en route ; mais pourra-t-elle réussir face aux milliards et au chantage que les cigarettiers sont prêts à débourser pour attirer de plus en plus de consommateurs ?
Video fournie par nookiefornuke
Ici un lien vers la ligue sénégalaise contre le tabac (on y voit combien les lois trainent à être votées en la matière). (lien fourni par Ba Hady)
9 réponses sur “L’Afrique et le lobby du tabac”
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L'histoire de la nicotine sera vraiment instructive pour les générations futures.
On a empoisonné notre population depuis longtemps, ça m'étonne qu'on n'en ait pas massivement fait profiter les autres continents plus tôt.
Je trouve les fabricants du tabac plutôt lent et peu opportuniste, pour le coup.
Les lobbings sont maladroits aussi. Ils ont été plus discrets et intelligents en Europe non ?
La corruption menée par les lobbies dans sa plus "belle" expression...
Après, on s'étonne que l'Afrique noire ne parvienne pas à se relever entre le sida, le paludisme et les guerres civiles...
On rajoute ça...
Merci pour le partage des liens et le billet!
"Au Niger une enquête a relevé que 28.5% des enfants entre 12 et 14 ans fument."
Tu vas beaucoup trop vite en besogne.
Quand je lis la source, je vois plutôt "Selon les données de cette enquête, sur un échantillon de 1.400 élèves au niveau de 20 collèges de la ville de Niamey, 28,5% des garçons de niveau 6e, 5e et 4e , sont fumeurs".
C'est très différent de ce que tu dis pour trois raisons:
- le taux de scolarisation est très bas au Niger, je pourrais te retrouver les chiffres mais de mémoire il tourne autour de 10% (!!). Sachant que le tabagisme des très jeunes est surtout un phénomène urbain, et lié à la scolarisation (surtout pour les filles).
- concernant l'âge, il faut savoir que l'entrée en 6ème ne se situe pas forcément à 12 ans mais plutôt à 14 ans, le cycle scolaire comptant une année en plus, le CI avant le CP, et l'école ayant subit plusieurs "années blanches" (année scolaire pendant laquelle les troubles sociaux sont tellement importants que le retard dans les programmes ne peut pas être rattrapé, les autorité décident de l'annuler et de tout recommencer à la rentrée suivante)
- enfin, l'étude a été menée à Niamey, qui est une capitale et où l'on voit forcément des comportements différents de ce que l'on peut constater dans les villages qui restent plus traditionnels.
Quoiqu'il en soit, 28% de fumeurs dans les collèges de Niamey, c'est très alarmant.
Il ne reste plus qu'à faire une grande campagne de pub avec le slogan "y'a bon tobacco" et voir si ça produit l'effet anti-clope désiré...
Sans rire, je ne comprends pas pourquoi, après toutes ces années passées à lutter pour s'affranchir un peu de l'occident, les élites des pays africains sont prêtes à tomber tête la première dans un nouveau piège d'exploitation (capitaliste ce coup-ci). Aucune multinationale du tabac n'est à capitaux africains.
koskoryma : c'est pour ca que j'ai mis un lien qui est plus précis.
@ xav
Parce qu'il est difficile de dire non à de l'argent facile - à première vue, du moins - quand on en a besoin pour le sida et le palu ?
Dans le même genre de conneries, comment comprendre que des gens surendettés contractent de nouveaux emprunts à des taux exorbitants pour rembourser les précédentes ? Ben, c'est un peu (beaucoup) le même mécanisme...
@Célia: faites moi rire, les gouvernements africains luttent contre le sida et le palu?
Oui il y a quelques actions, mais je doute sérieusement de leur engagement profond en la matière. J'ai surtout l'impression qu'il y a plus de possibilité de récupérer des enveloppes de pognon en vendant des clopes qu'en soignants des sidaïques. J'espère me tromper.
Globalement, mon impression (très partielle) des pays d'afrique que j'ai eu l'occasion de voir un peu, c'est: en bas, dans la société civile, il y a des gens entreprenants et honnêtes qui lancent des actions de développement (entreprises, santé..), et en haut, on commence à avoir quelques responsables qui ont conscience de la nécessité de lutter contre la corruption, mais la grosse majorité est pourrie jusqu'à la moelle. J'espère me tromper.
Très très bon article. Bravo
l'Afrique a encore d'autres chats à fouetter pour le moment, certes, néanmoins il ne faut pas laisser la gangrène se mettre en place avant de l'endiguer
Manon