Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Achaela.
Bonjour Achaela peux tu te présenter ?
Je suis étudiante, je suis une femme cis, blanche, et bisexuelle. J'écris sur un blog partagé Le bosquet des gens gentils, un blog culturel avec une écriture inclusive dont le twitter est @wearepeupliers.
Depuis quand es tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est ce venu progressivement ?
J'ai été élevée par une famille assez progressive sur la question, avec beaucoup de femmes avec de forts caractères et qui ont dû se débrouiller seules, au moins du côté maternel. Ma mère ne se définit pas comme féministe mais elle accorde beaucoup d'importance à des choses comme le droit à l'avortement.
Mais j'ai vraiment commencé à m'intéresser au féminisme pendant les débats sur le mariage pour tous. J'ai vu les Femens et, avec une amie, on a commencé à se poser des questions. Pour nous le féminisme c'était un peu un combat fini, en tous cas en France, donc voir ces femmes-là nous a questionné. On a lu leur manifeste "Femen", et ça a vraiment été le moment où j'ai commencé à me pencher vraiment sur le féminisme.
Ensuite on a fini par prendre de la distance par rapport à elles, parce qu'on les trouvait finalement assez peu efficaces, et problématiques parce que très "sauveuses blanches", à intervenir dans des pays dont elles ne savent rien. A partir de là, j'ai trouvé d'autres féministes qui me paraissaient moins critiquables, plutôt dans des courants dérivés du féminisme intersectionnel, ou proche des mouvements LGBTIQA.
Pourquoi penses tu que ta mère ne se définit pas comme féministe ?
Je pense que le mot lui fait peut-être un peu peur, ou qu'elle doit penser qu'on ne peut pas être féministe sans être très militante. En tous cas elle n'utilise pas le mot, mais maintenant, à chaque fois qu'elle fait quelque chose que, moi, j'appellerais militant (comme faire remarquer à ses collègues que critiquer telle femme pour ses activités sexuelles sans rien dire sur ses partenaires masculins n'est pas très logique, par exemple), elle m'envoie un message pour me dire "tu aurais été fière de moi". C'est comme si j'étais "la féministe de la famille", mais qu'elle ne considérait pas son action comme féministe.
Tu dis avoir pensé que le féminisme était un "combat fini" ; qu'est ce qui t'avait donné cette impression ?
Je pensais qu'en France, on avait un certain nombres d'acquis politiques, qu'on était tranquilles, que le droit à l'avortement par exemple était acquis pour de bon. Je voyais bien que toutes mes amies et moi-même avions des histoires de "dragues lourdes" dans la rue (en fait du harcèlement), j'entendais les remarques sexistes, mais pour moi c'était vraiment le fait d'une minorité, je ne voyais pas le côté systémique de tout ça.
Tu parles de "LGBTIQA". Peux tu expliquer de quoi il s'agit ?
C'est un acronyme qui rassemble les personnes lesbiennes, gay, bies, transgenres, intersexes, queer et asexuelles. Sachant que "queer" est au départ insultant en anglais, mais que les personnes qui étaient désignées comme queer (en gros, personnes non cisgenres et non hétérosexuelles) réutilisent de façon politique.
Comment as tu réalisé le coté systémique du sexisme ? Est- ce en discutant avec des féministes, en lisant ?
La réalisation s'est faite petit à petit. J'ai commencé à débattre sur des forums ou sur Facebook, et comme je n'avais pas les connaissances derrière, je cherchais pas mal d'articles pour appuyer mon propos. Au départ, donc, c'était un peu brouillon, j'argumentais plus à l'intuition, mais au fur et à mesure que je lisais pour ça, j'ai commencé à avoir une compréhension un peu plus globale. En même temps, pas mal de médias ou de blogueuses que je suivais avant ont commencé à avoir une ligne plus féministe, comme Madmoizelle, ou Diglee. Et ensuite c'est en rejoignant certains groupes Facebook féministes, en lisant les articles et témoignages qui y était partagés que j'ai vraiment réalisé que le féminisme était davantage qu'une lutte contre certains soucis, mais qu'il y avait vraiment une oppression systémique des femmes. Les discussions avec d'autres féministes ça s'est plutôt fait après.
Quand et comment as tu analysé que la "drague lourde" était en fait du harcèlement ?
Pour la "drague lourde", c'est encore grâce à internet. Avant on en parlait vite fait entre copines, mais il y a deux trois ans, les initiatives contre le harcèlement de rue ont commencé à fleurir sur internet, le terme s'est diffusé, on s'est rendues compte que ça arrivait vraiment à toutes les femmes, partout dans le monde et dans tous les milieux. Donc j'ai réalisé le problème en même temps que tout le monde, quand des assos ou des blogs du type Paye Ta Schnek ou le Projet Crocodile se sont diffusés.
Tu es étudiante : comment vis tu ton militantisme dans ce milieu ?
On étudie avec des gens qui pensent que le sexisme existe au-dehors, mais pas dans nos promotions, parce qu'on est "éduqué-es", on est égalitaires, etc. Alors que des problèmes, il y en a à la pelle en fait. Et si on les fait remarquer, le retour de bâton peut être assez violent. En grandes écoles, l'esprit de groupe est fort, et critiquer certaines assos ne se fait pas, y'a aussi des chants qui peuvent être sexistes ou homophobes, mais ça ne se dit pas. On passe pour une chieuse, pour une personne qui pinaille, c'est un sujet de moqueries et de petites vannes - comme toutes les militantes je pense, mais là c'est vraiment en vase clos.
Du coup, c'est souvent les mêmes personnes qui se retrouvent à prendre la parole lorsque quelqu'un fait une remarque ou une communication sexiste. Non pas parce que personne n'est d'accord, mais parce que les gens n'osent pas. On préfère passer là-dessus plutôt que de passer pour une chieuse.
Les problèmes, ça peut être dans l'enseignement d'abord : un manque de représentation de femmes philosophes, autrices... Ou alors des profs qui vont lâcher des remarques transphobes en critiquant le soit disant "politiquement correct".
Chez les élèves, c'est des clichés, des remarques, des insultes homophobes. C'est aussi des chants très virilistes chantés pendant les intégrations, dont certains parlent même de viols d'enfants. Et surtout, des assos qui font leur communication en utilisant des images de femmes nues, ou des jeux de mots qui tournent grosso modo autour des femmes et des endroits où on peut leur insérer un pénis. Il est aussi courant, dans les rivalités entre écoles, d'utiliser l'homosexualité comme une insulte.
Une ressource qu'apprécie Achaela et qu'elle souhaitait partager : le blog L'écho des Sorcières
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