J'avais 18 ans. Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté par deux fois ce qu'il en coûte aux femmes de dire non à un homme. Leur bite qui se durcit davantage, leur excitation qui monte, leur souffle qui s'accélère et nos "non" qu'ils balaient comme un moucheron qui les agace. Le refus féminin est organisé depuis des lustres pour être au mieux considéré comme un élément supplémentaire d'excitation masculine, au pire comme une provocation méritant punition. Alors je m'étais classiquement perdue de bras virils en bras masculins, vivant l'hétérosexualité pour ce qu'elle est, une prise de risques. J'avais dit oui avant de même oser penser à dire non, consenti avant que se pose la question de céder.
Ce soir là j'étais avec un énième garçon, un de ceux qui aiment taper sur les autres hommes mais oh jamais sur les femmes même avec une fleur, et j'ai formulé un refus explicite. Tous les signes étaient là pour que cela l'énerve mais il a arrêté. Immédiatement. On a passé la nuit à rire, boire et fumer et cette nuit là, cette nuit où un homme m'avait considérée comme son égale, ne m'avait pas violée, a longtemps été dans mon souvenir une des meilleures nuits de ma vie. Et je ne sais que trop ce que cela dit.
Dans "Quand céder n’est pas consentir. Des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie" Nicole-Claude Mathieu dit : "Avant de conclure au « consentement », il faudrait s’assurer que, pour chaque société, on ait pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes peuvent subir. Une partie des limitations mentales est inextricablement liée à des contraintes physiques dans l’organisation des relations avec les hommes, l’autre est plus immédiatement une limitation de la connaissance sur la société. (...) Or, la violence contre le dominé ne s’exerce pas seulement dès que « le consentement faiblit », elle est avant, et partout, et quotidienne, dès que dans l’esprit du dominant le dominé, même sans en avoir conscience, même sans l’avoir « voulu », n’est plus à sa place. Or le dominé n’est jamais a sa place, elle doit lui être rappelée en permanence : c’est le contrôle social. (...) Il semble bien que les rapports d’oppression basés sur l’exploitation du travail et du corps se traduisent par une véritable anesthésie de la conscience inhérente aux limitations concrètes, matérielles et intellectuelles, imposées à l’opprimé(e), ce qui exclut qu’on puisse parler de consentement.
Interlude.
Elle : c'est bizarre je n'arrête pas de faire des rêves autour de mon enfance en ce moment
Moi : tu rêves de quoi ?
Elle : quand je fuyais près de la rivière
Et là je sais très exactement ce qu'elle va dire, je ne travaille pas sur les violences sexuelles depuis aussi longtemps pour ne pas avoir compris. Et je voudrais l'arrêter qu'elle n'aille pas plus loin jamais mais c'est impossible. Alors.
Moi : qui fuyais tu ?
Elle : Mon père. Il a essayé tu sais.
Mathieu a étudié une société d'Afrique de l'ouest où les femmes doivent s'adresser d'une certaine manière aux hommes ce qui les oblige à réfléchir en permanence aux bons mots à prononcer. Ici en France nous avons développé un langage fait de différentes figures de style pour parler de ce qu'ils nout font subir. Ce langage est à la fois le fruit de l'oppression masculine, heureux de nous voir, leur semble-t-il, minimiser ce qu'ils nous font, mais c'est aussi une véritable réappropriation de notre part. Car nous ne sommes dupes de rien, nous développons notre propre langage qui est notre façon de transmettre entre nous ce qu'ils nous font. Chacune sait ce qu'il y a à mettre derrière "il a essayé" et une apparente précision légale n'aurait que peu d'intérêt.
Moi : Et il a réussi ?
Elle : Non. Et puis tu sais ce n'était qu'une fois.
Je ne lui fais pas remarquer qu'elle a dit "quand je fuyais" et pas "la fois où". Je suis lâche et furieuse d'être lâche mais elle a modifié ma vie à jamais c'est ce que je me dis et tant pis si c'est égoïste.
Et elle de rajouter : "Mais tu sais il faut le comprendre. Ma mère ne voulait plus du tout ! Elle se refusait à lui ! Elle était si méchante tu sais.
Alors reprenons. "Avant de conclure au « consentement », il faudrait s’assurer que, pour chaque société, on ait pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes peuvent subir."
J'ai grandi dans un monde où des femmes disent qu'il est logique que leur père ait tenté de les violer enfant puisqu'ils n'avaient pas accès au corps de femmes adultes. Des gens, pétris des meilleures intentions, justifient le viol d'enfants par des prêtres catholiques par le fait que ces derniers soient célibataires. Je me souviens de ce client de travailleuse du sexe qui lors d'un stage de sensibilisation (retranscrit dans l'émission Les pieds sur terre) expliquait que si on lui refuserait l'accès au corps des femmes, qu'il avait quand même la bonté de payer, en violerait c'était aussi simple que cela. Je me souviens enfin de tous ceux qui expliquent doctement, à chaque viol, que la victime n'avait pas à se rendre chez un homme inconnu comme s'il était évident, une sorte de règle non écrite qu'on aurait oublié de nous enseigner, que le viol nous y attend et qu'on est bien bête de ne pas y avoir pensé.
Il ne s'agit donc pas de savoir si le fait de céder constitue une forme de consentement mais quelle est notre marge de manœuvre pour consentir.
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour ne pas voir ce visage souriant devenir un masque de haine ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour pouvoir dormir, juste un peu ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour éviter de comprendre qui il est vraiment ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, parce que nous craignons de les voir tels qu'ils sont ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, parce qu'on nous apprend et qu'on leur apprend qu'un homme frustré a tous les droits qui va du tabassage au viol en pensant par le féminicide.
Les règles qui régissent les rapports entre hommes et femmes sont des règles non écrites, fluctuantes, souvent contradictoires. Elles ne sauraient se résumer à la métaphore de la tasse de thé. Toujours dans le même texte Mathieu évoque le cas d'une femme qui veut traverser et qu'elle manque écraser. La femme s'excuse. C'est une belle métaphore ; nous piétinons sur le bord de la route, en hésitant à traverser au milieu d'une route encombrée, nous nous faisons engueuler si nous hésitons, mais aussi si nous y allons franchement. Certains font vrombir leur moteur, ca fait rire les autres. Que va t il faire ? le fait il pour prévenir qu'il va écraser ? Previent-on avant de tuer ? Nous devons apprendre ces règles en sachant qu'elles changeront, qu'on n'en sortira jamais gagnante. Il n'y a pas de consentement possible.
Il fallait les voir ces 20 dernières années nous expliquer que les publicités sexistes on s’en foutait, tout comme le langage, l’éducation sexiste ou la taxe rose. Seules comptaient, disaient-ils de ceux qui ont étudié le sujet, les violences sexuelles. C’est qu’on n’y avait pas pensé, pauvres truffes qui se contentions de les subir, pauvres connes qui ne sont rien sans qu’on leur explique où pisser et comment le faire.
Personnellement, depuis que je m’y intéresse, il y a eu une petite variante ; je m’y intéresse mal. Pas comme il faut. Je n’emploie pas les bons mots, je ne sors pas les bonnes études et je vexe à peu près tous les hommes de bonne volonté (et ils étaient nombreux) qui étaient tout prêts à m’écouter si j’avais eu une once de bonne foi.
Lorsqu’il y a eu le mouvement #MeToo, je me suis tout de même dit qu’en leur posant cet énorme étron au milieu du salon, cela allait être difficile qu’ils pinaillent. C’est beau la naïveté à mon âge.
Tout a été tenté.
Nous étions tour à tour, mythomanes, folles, hystériques, dignes des meilleurs collabos, incapables d’estimer des situations à leur juste valeur, infoutues de comprendre l’humour, inaptes à saisir l’essence de la France (qu’on reconnaîtrait apparemment aux types qui violent des femmes, tout en expliquant qu’ils sont l’archétype du séducteur à a française), ruinant la vie de types qui devenaient tous des Dreyfus en puissance.
Certains sont allés jusqu’à reconnaître les violences. Mais ils ont ressorti ce concept merveilleux, déjà vu lors des affaires DSK ; le puritanisme infoutu d’admirer les traditions françaises de galanterie. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas violence, nous disaient-ils, il y a violence amoureuse, de qui fait toute la différence. Tu voyais ces coqs en érection sur leur tas de fumier, te dire encore et encore que c’est CA la France madame, cette si excitante domination sexuelle entre hommes et femmes que tu appelles violence et qu’ils appellent sexe.
Et là j’ai tout bonnement commencé à me dire qu’il y avait encore du boulot.
« Mesdames, on est contre le viol… tout contre », ricanaient-ils grassement.
L’inertie masculine est une chose merveilleuse, tant elle est matinée d’une mauvaise foi proverbiale. Ils savent. Ne vous leurrez pas, ils savent. Ils savent qu’on ne met pas de main aux fesses, qu’on ne traite pas les femmes de salope qui ne vous disent pas bonjour, qu’on ne force pas la copine qui a trop bu et que non c’est non. Ils savent et ils font parce qu’ils en ont le pouvoir. Ils savent et ils font parce que leurs copains ne leur disent rien, parce qu’on pourra bien hurler que ca fait mal, qu’a minima ca gâche la journée d’avoir encore été prise pour un déversoir à sperme, c’est un peu comme si un réverbère leur parlait. Enfin. Ces gars là, dont la plupart des activités se passent à se gratter le cul entre la machine à café et une video youtube de chat qui pète, donnent déjà des leçons d’incompétence à des astrophysiciennes, des mathématiciennes ou des historiennes. Et on penserait que nos petits sentiments, nos petites plaintes de femmes lambda, leur feraient quelque chose ? Ils savent et ils ne font rien parce que le silence masculin, la corporation masculine, le boy’s club masculin les tient tous par les couilles. Je n’excuse pas, j’explique. Bros before hoes disent les américains. « Les potes avant les putes ». Ce qui fait que le moindre connard sera soutenu parce que la mythologie masculine veut qu’on se soutienne entre couilles, que Jean-Michel Gros Con vaut toujours mieux que n’importe quelle femelle, et que très peu de mecs ont envie d’être mis à part du merveilleux groupe des mecs qui en ont.
Oh ils accordent parfois de la valeur aux femmes, ne nous y trompons pas. Lorsqu’elle leur est apparentée. C’est le seul angle qui marche parfois c’est dire le peu d’espoir qu’on a. « Mais traiterais tu ta sœur ainsi ? » tente-t-on parfois (en oubliant que la plupart des viols ont lieu dans le cercle familial donc oui sans doute qu’il pourrait traiter sa sœur comme ca).
Et puis il y a eu une focalisation médiatique politique et féministe sur les féminicides. Pourquoi pas, t’es là avec ton espoir qui pèse encore 20 tonnes, ou tu te dis qu’ils ne vont pas oser. Quand on te présente le corps d’une femme lardé de couteau, balancé du 5eme étage, ou écrasé par une bagnole, y’a moyen qu’ils s’émeuvent. Mais on avait choisi le mauvais mot dis donc. C’est qu’on est maladroite. C’est pourtant pas compliqué ; ils sont tous prêts à être contre le viol et le féminicide si
- on ne leur en parle pas trop
- on emploie les mots qui leur plaisent
- on parle d’abord des mecs violés et des mecs battus.
- on écarte tous les cas où les femmes l’ont bien cherché.
Je disais hier dans un article sur la bonne victime de viol qu’il fallait qu’elle soit morte, caramba encore raté, même mortes voilà qu’ils nous trouvent encore dans notre tort. Mais que n’a-t-elle choisi un gars comme moi ? Pourquoi se foutent-elles avec des gros cons ?
L’inertie masculine en matière de droits des femmes est chose terrifiante. Terrifiante parce qu’on ne peut plus se bercer de l’illusion qu’ils ne savent pas. Ou qu’ils ne comprennent pas. Ou qu’on leur a mal expliqué. Ils auraient tous cette incroyable compétence dans tous les domaines, qui leur font régulièrement expliquer à des femmes spécialistes leur propre domaine d’expertise, mais devant le sexe seraient des enfants perdus qui ne savent plus rien. Ils perdraient devant leurs potes en train de tenir des propos sexistes, toute capacité d’analyse. « ah bon lorsque Jean-Michel disait que les femmes sont toutes des grosses putes c’était pas un trait d’humour brillant à la Desproges, que tu n’as évidemment pas compris, femelle inculte, voire la dénonciation du sexisme par des propos sexistes ? ». Oh je les vois pérorer un peu partout sur l’incurie de Schiappa, sur ces salauds de violeurs, tout en continuant à rigoler grassement avec des types qui sont misogynes parce qu’il faut séparer l’œuvre de l’artiste n’est ce pas. (et puis il soigne le cancer/a défendu une victime de viol/ est spécialiste de la plantation du rhododendron/s’occupe bien de sa vieille maman). Je les vois savoir que leurs potes sont des agresseurs sexuels « mais quand même on est pas sûr ».
Le backlash est là, énorme, terrible et pire on le voit moins, on se fait baiser la gueule parce que tous les media, productions culturelles ont désormais bien compris que le féminisme fait vendre et nous balancent du feminism washing à tout va. Productions culturelles indigentes dans lesquelles on a collé trois bonnes femmes et dont on se contente vaguement en se disant que c’est toujours ca, articles douteux sur les féminicides où des journaux prétendent avoir constitué des task forces dédiées aux féminicides tout en dédiant des éditos à des pensées masculinistes. Je n'arrive même pas à me réjouir de créations comme Unbelievable sur Netflix. Déjà parce que c'est le quotidien de plein de femmes que de n'être pas crues quand elles disent avoir été violées et frappées (et en fait je préfère regarder un truc qui ne me rappelle pas des trucs glauques) et parce que voir des types avoir des épiphanies devant cette série, me donne des remontées gastriques. "Vous rendez-vous compte ? halala incroyable ca m'a fait mal au bide." Moins que les vraies femmes, dans la vraie vie qui avaient témoigné apparemment. Que voulez-vous, on ne sait pas faire une bonne mise en scène dans la vraie vie.
Je me souviens avoir expliqué un jour à un journaliste, qui voulait écrire sur le harcèlement, et donner à la fois la parole aux harceleurs et aux harcelé-e-es, que ca ne marchait pas comme ca, qu’il n’y avait pas 15 mn pour les juifs et pour les nazis. Il n’a pas compris je crois parce que le fait est beaucoup ne sont pas tout à fait convaincus que le viol c’est mal. Qu’il faut arrêter de violer ou de harceler les femmes. Oh bien sûr, si tu leur montres Mindhunters avec un tueur en série, là ils arrivent à comprendre. Mais le reste du temps (99,99999999999999% du temps) c’est difficile. Et comme on n’a pas toute la chance d’être violée par un tueur en série, ma foi on ne rentre pas dans leurs petites cases de la bonne victime. C’est comme s’il devait y avoir débat sur le viol ou sur le violences faites aux femmes, pour vraiment savoir s’il y a des coupables et des victimes.
Les hommes ont parfaitement compris et intégré ce que nous subissons. Mieux ils ont tout aussi compris que cela tient à leur comportement (direct, lorsqu’ils agressent, indirect lorsqu’ils se taisent face aux hommes qui agressent) ; et comme ils ne tiennent pas à changer une once de leur comportement, les violences ne reculeront pas.
[Comme est on est un peu maso par ici, le blog est ré-ouvert aux commentaires]
Je les vois partout. Je sais que du premier au 104eme féminicide, ils nous demanderont uniquement pourquoi on parle de féminicide en alternance avec « pourquoi n’est-elle pas partie avant cette connasse naïve/halala ces sales vaches connasses toujours à s’intéresser aux bad boys alors qu’il y a des braves gars comme moi pas misogynes pour un sou ».
« Mais enfin ca n’existe pas le mot féminicide ! » Comme s’il y avait des mots qui avaient toujours existé, que le langage n’était pas en soi une construction, un truc établi une bonne fois et on n’y touche plus. On a des mauvais petits ersatz de Marchel Duchamp du langage à chaque femme massacrée c’est fascinant.
21 ans cette année. 21 ans que je pénètre dans le foutu garage où mon père s’est suicidé. J’ai pensé mille fois le démolir pierre par pierre. J’y vais, je rentre, je sais exactement ce que je faisais ce jour-là et je réfléchis à comment on aurait pu l’éviter, si c’était souhaitable et aussi égoïstement ce que cela a a changé dans ma vie (tout). 21 ans que je vois des sales merdeux instrumentaliser le suicide de gars comme mon père pour éviter de parler des violences faites aux femmes par les hommes. Je dis de gars comme mon père parce qu’il cochait comme la majorité des hommes qui se suicident toutes les cases ; moyen utilisé, raisons, incapacité de parler etc. Ces gens s’en contrefoutent en général puisque le moindre mec qui oserait exprimer son mal être sur les réseaux sociaux est moqué, vilipendé, voire poussé au suicide. Qu’on ne vienne donc pas me prétendre que le suicide des mecs les intéressent c’est un mensonge, une sale petite instrumentalisation. Les mecs sont tellement mal à l'aise avec la fragilité masculine que c'est le seul argument qu'ils sont en bouche d'ailleurs lorsqu'il s'agit de contrer la propagande masculiniste et fasciste de certains. "Halala qu'est ce qu'il est fragile" braillent-ils face à un masculiniste comme si le problème était là.
Oui les hommes complètent plus leur suicide. Oui les hommes sont les premières victimes des violences. Guess what ca a même été théorisé par les féministes. Seulement les solutions qu’on propose pour mettre fin à ce cycle infernal ne plaisent pas parce qu’il faudra évoquer que ça a tout à voir avec la construction de la virilité. Tout à voir avec le fait que dés le plus jeune âge, on apprend à un garçon qu’on règle ses problèmes par les poings sinon on est une « terme homophobe » et qu’on ne chiale pas sinon on est une « terme sexiste ». Et quand tu vois que même le plus féministe des mecs (c’est celui qui est pour la prostitution et qui aime bien photographier des femmes à poil dans le cadre de la body positivity) n’a qu’une idée en tête c’est faire usage de violence (toute verbale hein) lorsqu’un type est sexiste, tu te dis qu’on n’a pas le cul sorti des ronces. Il faut être respecté des femmes apprend-on partout ; se faire humilier par un mec c’est déjà pas trop mais alors par une femme… et il semble que les hommes ont l’indignation chatouilleuse.
Le fait est que l’essentiel des viols et des violences physiques et des violences psychologiques et des féminicides ont lieu dans le couple hétérosexuel et que c’est invariablement un homme qui frappe/viole/tue une femme. Il existe mille et une formes de conjugalité mais non c’est dans ce schéma là que se déroulent l’essentiel des violences.
Et c’est là que ca coince. Parce qu’autant on est prêt à admettre que Patrice Allègre ne doit pas trop trop aimer les femmes pour les massacrer et les violer, autant ca passe moins d’un mec totalement lambda. Alors on essaie de combler les trous en se demandant comment notre vision du couple (et le pavillon avec le chien le gâteau a trois étages payé une blinde avec le couple au sommet on passe d’une femme la gorge ouverte sous le nez des mômes). Alors on individualise. On évite l’éléphant dans la pièce (tiens merde c’étaient tous des hommes) pour se concentrer sur l’accessoire, le steak était trop cuit, elle avait une jupe trop courte. On tente de rendre les pseudo raisons de frapper ou de tuer ridicules afin de montrer combien il devait être déséquilibré. Parce que ca permet ainsi de ne pas s’intéresser aux causes profondes de la violence masculine et d’en faire un problème systémique.
Enfin merde. Si les hommes sont responsables de l’immense majorité des crimes et délits, victimes et auteurs principaux des homicides, responsables des accidents de la route les plus graves, responsables de la quasi majorité des violences sexuelles, est ce que non ca n’a rien à voir avec le fait que cela soit des hommes et la construction masculine ?
On nous dit mais c’est quoi ca le féminicide tuer une femme parce qu’elle est femme. Le féminicide c’est tuer une femme pour des raisons misogynes, parce qu’on estime qu’elle ne s’est pas comportée comme une femme devrait se comporter. Elle n’a pas obéi à son mari, elle l’a quittée. Elle n’a pas fait correctement sa part de tâches ménagères. Elle ne s’est pas habillée comme il le souhaitait. Tout ceci ne sont évidemment que des prétextes, ne nous y trompons pas. Il frappe parce qu’il estime qu’il a le droit de frapper sa femme parce que dans notre société – même là oui en 2019 – tout concourt à dire qu’on est propriétés des hommes et qu’on leur doit quelque chose sinon ils s’énervent.
Je ne peux m’empêcher de penser, en permanence aux dizaines de fois où on m’a expliqué que Samantha Geimer savait à quoi s’attendre en allant chez Polanski comme si cette réalité évidente, toute simple m’avait échappée ; aller chez un homme seule c’est s’exposer à un viol parce que les hommes sont comme ca. Et bien ne pas faire ce que veut un homme c’est s’exposer à ce qu’il s’énerve et c’est comme ca. Il n’y a rien à changer.
Observez qu’on interroge toujours pourquoi les femmes ne partent pas mais jamais pourquoi les hommes tuent. Comme si ca allait de soi. Comme si, même là, il fallait éviter d’être tuées et pas de tuer.
Observez nos pathétiques tentatives pour tenter de réduire les violences faites aux femmes par les hommes. Elles sont toujours après. Après les viols. Après les coups. Après les morts. Comme si on avait abdiqué. Comme si on savait qu’on ne pouvait pas faire grand-chose au fond avant parce qu’ils sont comme ca, qu’ils dérapent, qu’ils s’énervent, qu’ils ont du tempérament, qu’ils ont un peu sanguins, qu’ils ont de la testostérone à revendre, qu’ils ont du mal à se contrôler. Et comme on doit faire leur ménage, des pipes et penser à ce à quoi ils n’ont pas pensé, on doit aussi penser à ce qu’il faut faire pour ne pas les mettre en colère.
Personnellement beaucoup d’hommes sur les réseaux sociaux m’ont prise dans leur toile d’araignée. Ils m’ont tellement répété année après année que si je ne réponds pas correctement à toutes leurs demandes, alors ils se comporteront mal avec les femmes (et ca sera de ma faute). C’est un raisonnement extraordinaire, totalitaire et fascisant dans lequel je suis tombée à pieds joints.
Le fait est que plein d’hommes haïssent les femmes. Oh je n’ai pas de chiffres, non. J’ai juste en tête, comme des millions de femmes, a minima tous les moments où les hommes ont fermé leur gueule quand leurs potes se comportaient comme des porcs et qu’ils fermaient tous leur gueule, parce que ce n’est pas si grave, que c’est juste une blague, que par ailleurs il n’est pas comme ca, et puis il est tendu en ce moment et puis y’a pire dans la vie tout de même.
le fait que les violences physiques et sexuelles se déroulent dans un contexte hétérosexuel, qu’on nous a vendu comme quelque chose d’à la fois profondément naturel (donc normal) et où hommes et femme s’aiment d’un amour tendre empêchent de réfléchir à ce que sont les violences patriarcales. Un homme violent pourrait frapper n’importe qui dans la rue si son problème était juste la violence. Un homme violent et misogyne pourrait frapper n’importe quelle femme dans la rue si son problème était juste la misogynie. (ne venez pas prétendre qu’il le fait parce que les volets sont clos, le nombre de mecs qui frappent leur femme qui hurle et que tout le voisinage entend montre que votre théorie est foireuse). Il frappe parce qu’ils le peuvent, ils frappent parce que l’histoire du mariage (vous y tenez tant à votre histoire quand il s’agit de justifier des conneries allons y gaiement) a dit que la femme était la propriété du mari et que, ma foi, ca compte encore.
Je ne comprends pas pourquoi on est si long. Enfin si je le comprends, parce que tout ceci n’a au fond pas grande importance. Parce qu’au fond la violence exercée contre les femmes par des hommes est toujours plus au moins justifiée. Même dans les cas d’assassinats.
Elle aimait les bad boys
Elle était restée
Elle est sortie tard le soir
toutes les raisons sont là toujours pour dédouaner les hommes violents et aussi s’en distancier.
Je ne vois plus d’issue. Atwood disait « les femmes ont peur d’être tuées par les hommes, les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux ». Elle donne beaucoup trop d’importance à ce que les hommes pensent des femmes. Les hommes ont peur que les autres hommes se moquent d’eux. Ils ont peur qu’ils se moquent d’avoir été quittés, qu’ils remettent en cause leur virilité, qu’ils soient traités de manière homophobe. La violence masculine n’est pas un problème individuel qu’on gérera par des politiques à l’avenant. Ca laissera toujours entendre qu’un homme violent uniquement pour des raisons qui lui sont propres et que les dizaines de personnes violées, frappées et tuées chaque année le sont par autant d’individus tous différents les uns des autres. La violence n’est pas un avatar de la virilité, elle en fait partie à part entière. La violence EST virile.
On me dit que Cantat a "payé sa dette". Ce sont des termes qui me sont étrangers ; je ne considère pas que la justice est là pour "faire payer les gens". Je considère que chacun-e, en revanche, doit se questionner sur ses actes et leurs symboles.
On me dit qu'il faut dissocier l'homme de l'artiste ; expliquez moi comment vous faites cela. Vous l'applaudissez une fois sur deux ? Vous applaudissez en hurlant "j'admire l'artiste mais pas l'homme" ?
On me dit que cela fait 14 ans.
Le meurtre de Marie Trintignant par Cantat a été un séisme pour la jeune féministe que j'étais.
J'ai découvert, comme tant d'autres, ce que beaucoup de gens pouvaient penser des victimes de violences conjugales.
J'ai découvert que certain-es abruti-es se berçaient de l'illusion du poète déchu qui a tant et mal aimé, pour excuser Cantat.
Les réactions à ce féminicide ont été - comme furent ensuite celles aux "affaires" DSK, Polanski, Baupin, Sapin etc - un parfait révélateur de l'état désastreux de la société française en matière de violences faites aux femmes. Marie Trintignant a été traînée dans la boue de la pire des façons ; ce qui a été dit à l'époque illustre vraiment à quel point nous sommes dans la posture quand il s'agit de violences conjugales. C'était une pute, une salope, une droguée, une hystérique et une alcoolique et il semblait bien à une partie de la population françaises qu'être cela en tout ou partie justifie qu'on vous massacre à mains nues. Nous trouvons toujours des excuses, des bonnes raisons pour que des femmes meurent: une pâte à crêpe pleine de grumeaux, des nuggets trop chers, une femme hystérique, un chanteur à fleur de peau.
Voici le résumé de Pax neoliberalia, Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence de Jules Falquet qui m'a été gentiment envoyé par les éditions iXe. Dans ce recueil de textes, écrits sur une vingtaine d'années, l'auteure travaille sur les enjeux matériels des différentes formes de violences contre les femmes et sur la réorganisation néolibérale de la coercition.
Il est difficile de prétendre en tout début d'année que ce livre sera un des livres les plus marquants de mon année 2017 mais j'ai pourtant bien ce sentiment. L'auteure arrive magistralement à montrer, par exemple, combien la violence patriarcale et celle née du néo-libéralisme touchent en tout premier lieu les femmes (et encore davantage si elles sont racisées).
Le génocide et l'ethnocide
En 1941, Churchill déclarait, deux mois après l'invasion de l'URSS : "L’agresseur se comporte avec une cruauté extraordinaire. Au fur et à mesure que les armées avancent, des districts entiers sont exterminés. Des dizaines de milliers d’exécutions – littéralement des dizaines de milliers– sont perpétrées par les unités de police allemandes. Nous sommes en présence d’un crime qui n’a pas de nom. ("We are in the presence of a crime without a name").
Le juriste juif polonais, Raphaël Lemkin, créa en 1943 le terme de "génocide" : "La guerre qui vient de se terminer a concentré notre attention sur le phénomène de destruction de populations entières, groupes nationaux, raciaux et religieux, tant du point de vue biologique que du point de vue culturel. (...)Tandis que la société cherche protection contre les crimes individuels, ou plutôt contre des crimes dirigés contre les individus, nous ne pouvons relever un sérieux effort en vue d'éviter et de punir le meurtre et la destruction de milliers d'êtres humains. Plus fort même, un nom adéquat pour le phénomène n'existait même pas.(...) L'expression "meurtre de masse" rendrait-elle le concept précis de ce phénomène ? Nous sommes d'avis que non, puisqu'elle n'inclut pas le motif du crime, plus spécialement encore lorsque le but final du crime repose sur des considérations raciales, nationales et religieuses. (...) Toutes ces considérations nous ont amenés à voir la nécessité de créer pour ce concept particulier un terme nouveau, à savoir le Génocide. Ce mot est formé de deux entités : "genos ", terme grec, d'un côté, signifiant race ou clan, et "cide " suffixe latin de l'autre comportant la notion de tuer. Ainsi. le terme "génocide", prendra rang dans la famille des termes tyrannicide, homicide, patricide".
Je vous ai souvent parlé de Juarez et je vous avais parlé ici de jeunes filles qui avaient disparu.
Périodiquement, je fais quelques recherches voir si on en a des nouvelles. Deux ont été retrouvées, mortes. Hilda Gabriela Rivas Campos et Adriana Sarmiento Enriquez.
La police avait les corps des jeunes filles depuis deux ans et a mis autant de temps pour avertir les familles et leur rendre les corps.
Nul ne sait évidemment pourquoi. Des sources anonymes témoignent qu'il y aurait encore des corps féminins dans la morgue de Juarez qui auraient été trouvés dans un charnier ; nulle enquête n'est menée, les parents des victimes n'ont pas le droit de voir les effets des victimes pour éventuellement reconnaître quelque chose.
Le 07 novembre, a été inauguré un chouette memorial en l'honneur de 8 femmes assassinées en 2001 (Cotton field). Pour l'anecdote on avait arrêté deux conducteurs de bus. L'un s'est plaint d'avoir été torturé et sa famille d'avoir reçu des menaces de mort. On l'a bien condamné à 50 ans de prison puis finalement on l'a libéré. Son avocat a été tué par des inconnus. L'autre suspect est mort en prison dans des circonstances non encore élucidées ; son avocat a été tué par la police qui était "en état de légitime défense".
Les parents des jeunes femmes assassinées ont porté l'affaire devant la cour inter-américaine des droits de l'homme, qui a conclu, ô surprise, en 2009, que l'affaire n'avait pas été menée convenablement.
Nul doute que le monument leur fera bien plaisir ; il aurait coûté un million de dollars.
Alors je n'avais pas envie de polémiquer sur le texte idiot d'un crétin qui appelle la décapitation d'une femme un "coup de folie".
Quand il comprendra le monument d'indifférence absolue qui entoure la mort de femmes dans quasi toute l'Amérique latine, alors il comprendra le pourquoi de cette loi.
Il ne s'agit pas de dire que la mort d'une femme est plus grave que celle d'un homme ; pensez que jusqu'en 2008, l'on ne recensait même pas les meurtres de femmes tuées par leur conjoint. Il convient de comprendre l'état de certains pays d'Amérique latine en matière de machisme pour comprendre pourquoi il a fallu cette loi.
Il y a un an, était assassinée Marisela Escobedo Ortiz qui cherchait à ce que soit condamné le meurtrier de sa fille. Son fils dit aujourd'hui que la police n'a pas fait son travail ; il est réfugié aux Etats-Unis pour sa propre sécurité.
Début décembre 2011, un militant des DH Nepomuceno Moreno Núñez a été assassiné. On a également tiré sur Norma Andrade, dont la fille a été assassinée et qui préside une association de familles de victimes.
Le 16 décembre, le Mexique a officiellement reconnu sa responsabilité face à deux femmes indigènes qui ont été violées par des soldats. Les populations "indigènes" souffrent, plus que les autres, d'un manque de droits, d'accès aux soins, à la justice. Les femmes victimes de Juarez étaient d'ailleurs, souvent, au début, des indigènes.
Pensées pour Hilda Gabriela Rivas Campos et Adriana Sarmiento Enriquez.
C’est une énième mauvaise nouvelle qui frappe Juarez. Vous avez ici et là mes précédents articles.
Au passage. Le 16 septembre un tireur a abattu 10 personnes dans un centre de désintoxication de la ville ; le 2, 18 personnes avaient été abattues dans un autre centre.
Les hôpitaux de Juarez n’accueillent plus les blessés par balles, craignant que ce soient des membres de gangs et que des gangs rivaux viennent les achever sur place (cela s’est déjà produit). L’an dernier il y a eu 1607 meurtres à Juarez ; on en est déjà à 1620 en septembre.
Ces jours derniers on vous en a parlé de Juarez à la télévision française. Il faut dire qu'il y a eu 2000 morts en un an à cause des gangs. Le président Calderon y a envoyé 5000 soldats la semaine dernière et les USA pourraient fournir leur aide.
Le gang, c'est vendeur ; du mec tatoué qui se tire dessus c'est glamour. Et pour arriver à parler du Mexique en France, c'est que la situation là bas a atteint des proportions inimaginables.
Et, évidemment, nos disparues de Juarez dont j'ai déjà parlé - notez que ca fait 5 ans que j'en parle en fait - on s'en fout.
18 gamines entre 13 et 18 ans ont disparu depuis 14 mois. C'est même étonnant que je puisse vous fournir un chiffre. On doit en général recouper 20 sites pour arriver à se faire une vague idée.
Il y a eu 347 disparitions de femmes l'an dernier. Le procureur général a une explication fameuse ; elles sont presque toutes parties avec leur petit copain ou en virée avec des potes. Pratique.
Ici un article explique que plus il y a des militaires pour combattre les trafiquants, plus la violence envers les femmes explose. Les militaires violent et comme ils sont protégé, les femmes n'osent pas porter plainte (et de toutes façons, ils ne seraient pas condamnés donc ...).
Désolée de revenir encore sur cette histoire qui m'obsède, je l'avoue volontiers. je la trouve très emblématique du je m'en foutisme général à l'égard des femmes.
Imaginez une ville française où des centaines de femmes disparaissent ou sont retrouvées mortes dans des conditions abominables. Imaginez-vous vous promener sur les lieux du crime et retrouver des pièces à conviction que la police n'a même pas collectées.
Et imaginez un juge français vous dire "ah mais ce sont toutes des disparitions volontaires".
Alors des rapports il y en a eu. De l'ONU. De l'UE. On a même fait un projet de rapport s'appuyant sur 20 rapports pour dire qu'il fallait faire un rapport sur le sujet.
Il y a deux jours la présidente de l'Académie mexicaine de Droits Humains, Gloria Ramirez a relevé qu'il y a eu 77 recommandations internationales au sujet des femmes et 63 au sujet des meurtres de femmes de Juarez. Elle souligne que pas une de ces recommandations n'a été suivie, que le gouvernement feint de les suivre et ment quand les organisations internationales lui demandent des comptes.
Le mois prochain le gouvernement mexicain pourrait être jugé devant une cour de justice internationale pour ne pas avoir enquêté convenablement dans ces affaires.
En février, l'ancien gouverneur du Mexique, celui qui avait dit que de toutes façons les victimes l'avaient bien cherché, a été nommé ambassadeur au Canada. les familles de victimes ont peu apprécié.
On pourrait continuer des heures ainsi mais on finirait par tomber dans un mauvais sketch.
Juarez, qui est une ville mexicaine, frontalière avec les USA. Avec l’ALENA (traité de libre-échange), beaucoup d’entreprises occidentales ont installé des maquiladoras (usines d'assemblages) dans cette région. L'ALENA était censé créer de l’emploi et faire baisser la pauvreté. Au final, beaucoup de PME mexicaines ont fait faillite puisqu’elles ne pouvaient tenir face aux géants américains et l’importation massive de denrées alimentaires a fait baisser les prix payés aux agriculteurs mexicains ce qui a entraîné un important exode rural. Les salariés mexicains des maquiladoras sont évidemment sous payés , peu protégés. Lire la suite »