J'avais 18 ans. Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté par deux fois ce qu'il en coûte aux femmes de dire non à un homme. Leur bite qui se durcit davantage, leur excitation qui monte, leur souffle qui s'accélère et nos "non" qu'ils balaient comme un moucheron qui les agace. Le refus féminin est organisé depuis des lustres pour être au mieux considéré comme un élément supplémentaire d'excitation masculine, au pire comme une provocation méritant punition. Alors je m'étais classiquement perdue de bras virils en bras masculins, vivant l'hétérosexualité pour ce qu'elle est, une prise de risques. J'avais dit oui avant de même oser penser à dire non, consenti avant que se pose la question de céder.
Ce soir là j'étais avec un énième garçon, un de ceux qui aiment taper sur les autres hommes mais oh jamais sur les femmes même avec une fleur, et j'ai formulé un refus explicite. Tous les signes étaient là pour que cela l'énerve mais il a arrêté. Immédiatement. On a passé la nuit à rire, boire et fumer et cette nuit là, cette nuit où un homme m'avait considérée comme son égale, ne m'avait pas violée, a longtemps été dans mon souvenir une des meilleures nuits de ma vie. Et je ne sais que trop ce que cela dit.
Dans "Quand céder n’est pas consentir. Des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie" Nicole-Claude Mathieu dit : "Avant de conclure au « consentement », il faudrait s’assurer que, pour chaque société, on ait pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes peuvent subir. Une partie des limitations mentales est inextricablement liée à des contraintes physiques dans l’organisation des relations avec les hommes, l’autre est plus immédiatement une limitation de la connaissance sur la société. (...) Or, la violence contre le dominé ne s’exerce pas seulement dès que « le consentement faiblit », elle est avant, et partout, et quotidienne, dès que dans l’esprit du dominant le dominé, même sans en avoir conscience, même sans l’avoir « voulu », n’est plus à sa place. Or le dominé n’est jamais a sa place, elle doit lui être rappelée en permanence : c’est le contrôle social. (...) Il semble bien que les rapports d’oppression basés sur l’exploitation du travail et du corps se traduisent par une véritable anesthésie de la conscience inhérente aux limitations concrètes, matérielles et intellectuelles, imposées à l’opprimé(e), ce qui exclut qu’on puisse parler de consentement.
Interlude.
Elle : c'est bizarre je n'arrête pas de faire des rêves autour de mon enfance en ce moment
Moi : tu rêves de quoi ?
Elle : quand je fuyais près de la rivière
Et là je sais très exactement ce qu'elle va dire, je ne travaille pas sur les violences sexuelles depuis aussi longtemps pour ne pas avoir compris. Et je voudrais l'arrêter qu'elle n'aille pas plus loin jamais mais c'est impossible. Alors.
Moi : qui fuyais tu ?
Elle : Mon père. Il a essayé tu sais.
Mathieu a étudié une société d'Afrique de l'ouest où les femmes doivent s'adresser d'une certaine manière aux hommes ce qui les oblige à réfléchir en permanence aux bons mots à prononcer. Ici en France nous avons développé un langage fait de différentes figures de style pour parler de ce qu'ils nout font subir. Ce langage est à la fois le fruit de l'oppression masculine, heureux de nous voir, leur semble-t-il, minimiser ce qu'ils nous font, mais c'est aussi une véritable réappropriation de notre part. Car nous ne sommes dupes de rien, nous développons notre propre langage qui est notre façon de transmettre entre nous ce qu'ils nous font. Chacune sait ce qu'il y a à mettre derrière "il a essayé" et une apparente précision légale n'aurait que peu d'intérêt.
Moi : Et il a réussi ?
Elle : Non. Et puis tu sais ce n'était qu'une fois.
Je ne lui fais pas remarquer qu'elle a dit "quand je fuyais" et pas "la fois où". Je suis lâche et furieuse d'être lâche mais elle a modifié ma vie à jamais c'est ce que je me dis et tant pis si c'est égoïste.
Et elle de rajouter : "Mais tu sais il faut le comprendre. Ma mère ne voulait plus du tout ! Elle se refusait à lui ! Elle était si méchante tu sais.
Alors reprenons. "Avant de conclure au « consentement », il faudrait s’assurer que, pour chaque société, on ait pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes peuvent subir."
J'ai grandi dans un monde où des femmes disent qu'il est logique que leur père ait tenté de les violer enfant puisqu'ils n'avaient pas accès au corps de femmes adultes. Des gens, pétris des meilleures intentions, justifient le viol d'enfants par des prêtres catholiques par le fait que ces derniers soient célibataires. Je me souviens de ce client de travailleuse du sexe qui lors d'un stage de sensibilisation (retranscrit dans l'émission Les pieds sur terre) expliquait que si on lui refuserait l'accès au corps des femmes, qu'il avait quand même la bonté de payer, en violerait c'était aussi simple que cela. Je me souviens enfin de tous ceux qui expliquent doctement, à chaque viol, que la victime n'avait pas à se rendre chez un homme inconnu comme s'il était évident, une sorte de règle non écrite qu'on aurait oublié de nous enseigner, que le viol nous y attend et qu'on est bien bête de ne pas y avoir pensé.
Il ne s'agit donc pas de savoir si le fait de céder constitue une forme de consentement mais quelle est notre marge de manœuvre pour consentir.
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour ne pas voir ce visage souriant devenir un masque de haine ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour pouvoir dormir, juste un peu ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour éviter de comprendre qui il est vraiment ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, parce que nous craignons de les voir tels qu'ils sont ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, parce qu'on nous apprend et qu'on leur apprend qu'un homme frustré a tous les droits qui va du tabassage au viol en pensant par le féminicide.
Les règles qui régissent les rapports entre hommes et femmes sont des règles non écrites, fluctuantes, souvent contradictoires. Elles ne sauraient se résumer à la métaphore de la tasse de thé. Toujours dans le même texte Mathieu évoque le cas d'une femme qui veut traverser et qu'elle manque écraser. La femme s'excuse. C'est une belle métaphore ; nous piétinons sur le bord de la route, en hésitant à traverser au milieu d'une route encombrée, nous nous faisons engueuler si nous hésitons, mais aussi si nous y allons franchement. Certains font vrombir leur moteur, ca fait rire les autres. Que va t il faire ? le fait il pour prévenir qu'il va écraser ? Previent-on avant de tuer ? Nous devons apprendre ces règles en sachant qu'elles changeront, qu'on n'en sortira jamais gagnante. Il n'y a pas de consentement possible.
"Equality in the realm of sex is an antisexual idea if sex requires domination in order to register as sensation."
Andre Dworkin, Intercourse.
Elle travaille dans un magasin de bricolage, qui, depuis peu, peut ouvrir le dimanche. Un accord d'entreprise permet que les salariés seront payés double ce jour-là (et cela n'est pas le cas dans toutes les entreprises). Elle a deux enfants, est mère célibataire et travaille à temps partiel dans cette entreprise.
Son supérieur lui propose de travailler désormais les dimanches ; un rapide calcul lui permet de se rendre compte qu'elle n'a aucun avantage à accepter sa proposition (faire garder ses enfants les dimanches travaillés lui coûterait trop cher) et elle refuse. Son supérieur la menace alors de la pousser à la faute et de la virer pour faute grave.
Elle accepte de travailler le dimanche.
Est-ce qu'elle a consenti à ces heures de travail dominicales ?
Elle était confrontée à deux possibilités :
- travailler le dimanche, ce qu'elle ne souhaite pas faire et garder son travail
- ne pas travailler le dimanche, suivre son souhait et perdre son travail
(Il y a évidemment une 3eme option qui consisterait à faire appel à un syndicat, aller aux prudhommes mais pour la démonstration on ne l'abordera pas ici).
Chacun-e constatera que les deux possibilités ne sont pas équivalentes. Elle est une salariée précaire, avec deux enfants à charge et ne peut prendre le risque d'être renvoyée. Consentir à quelque chose nécessite d'avoir le choix entre plusieurs propositions à peu près équivalentes ce qui permet de faire un choix éclairé. Elle ne consent donc pas à travailler le dimanche, elle cède sous la menace.
Faisons un bref aparté, sur le terme "choix éclairé". Il est bien évident que nous subissons des déterminismes sociaux et qu'un choix apparemment libre est aussi fait en fonction de ces différents déterminismes ; une mère célibataire précaire est justement à cause de ce qu'elle est soumises à des déterminismes qu'il est difficile pour elle de combattre. Pour autant nous ne sommes pas faits que de ces déterminismes - du moins je ne le crois pas - sinon on ne pourrait simplement pas parler de consentement.
Je vais vous résumer Les femmes de droite d'Andrea Dworkin. Le livre date d'il y a trente ans ce qui explique par exemple qu'elle évoque le viol conjugal en soulignant qu'il est autorisé. Je résume ce livre en réaction aux nombreux textes réagissant au tumblr des femmes anti féministes.
Dans la préface, Christine Delphy souligne qu'à part Dworkin peu de féministes ont évoqué la sexualité hétérosexuelle dans une société patriarcale. On a revendiqué le droit des femmes à se prémunir des conséquences de cette sexualité via la contraception et l'IVG.
Dans la vision féministe comme dans la vision patriarcale, le viol, l'inceste sont vues comme des transgressions à la sexualité comme les violences conjugales sont vues comme des transgressions à la définition du mariage.
Pourtant s'ils sont aussi banalisés c'est qu'ils sont tolérés sinon encouragés et que la violence est partie intégrante de la sexualité hétérosexuelle patriarcale comme le pense Dworkin.
Dans ce livre Dworkin parle des femmes de droite qu'elle ne condamne pas mais dont elle regrette les choix. Elle estime qu'elles ont affaire à un pouvoir trop vaste et qu'elles se sont aménagées l'espace qu'elles pouvaient.
La question se pose de savoir sir les gains du mouvement féministe ne peuvent être saisis par les hommes et utilisé contre les femmes. Ainsi elle rappelle que la libération sexuelles des années 60 a enjoint les femmes à être disponibles envers les hommes sinon elles étaient considérées comme non libérées.
Delphy estime que les féministes ont échoué à définir la sexualité hétérosexuelle ; cela se définit toujours par un rapport sexuel qu'avant les femmes n'étaient pas censées aimer et que, maintenant elles doivent aimer.
Dworkin dit que la violence de l'acte sexuel ne réside pas dans l'anatomie masculine mais dans l'interprétation qui en est faite.
La sexualité hétérosexuelle devient un acte où la femme doit jouir de sa propre destruction, pour se conformer à l'archétype du masochisme féminin.
Delphy critique le féminisme queer qui réduit le genre aux rôles dans la sexualité qu'on pourrait performer alors que les discriminations persistent, elles, bel et bien.
Vous allez retrouver, ces prochaines semaines, d'anciens articles que je ré-écris, n'en soyez donc pas étonné-e-s.
Vous vous demandez sans doute souvent pourquoi les féministes préfèrent se qualifier comme telles plutôt que d'humanistes comme si nous choisissions de privilégier les femmes aux hommes.
Le féminisme est né parce que les femmes avaient à l'époque besoin de faire reconnaître qu'elles souffraient de discriminations légales. Par exemple, elles ne pouvaient pas voter, pas disposer de leur propre argent, pas travailler sans l'autorisation d'un homme et n'avaient pas l'autorité parentale sur leurs enfants. Il était important de pointer qu'elles souffraient de ces discriminations parce qu'elles étaient des femmes et que c'était ce point là et lui seul qui causait les discriminations.
Et ainsi aujourd'hui on continue de prendre cet angle là lorsqu'on réfléchit sous un axe féministe. Evidemment il n'est pas toujours suffisant et l'on en ajoute d'autres ; la classe sociale par exemple. Ainsi par exemple pour étudier les insultes faites à Taubira, il était important de prendre en considération plusieurs axes de discriminations. On n'aurait pu étudier ce qu'elle subit en se contentant de l'étudier sous l'angle féministe par exemple.
Michel Onfray : "On jongle avec des idées, mais pas avec la misère des gens. Et la misère des gens elle va où, aujourd’hui ? Elle va au Front National. Elle va au Front national qui est à peu près le seul parti qui parle à ces gens-là, en disant : "bon, ben nous on vous a pas oubliés". Est-ce qu’aujourd’hui le silence du Parti Communiste sur la question de l’islam est défendable ? On dit rien sur l’islam. Y’a pas de problème ! Il n’y a pas plus antiféministe que l’islam, et est-ce qu’on continue, là dessus, en disant : "non non, c’est très bien, et cetera", alors qu’on nous dit effectivement que les femmes sont inférieures, qu’ils faut les voiler, et cetera ? Est-ce qu’on va continuer à laisser avancer ce sexisme, en nous disant : "non non, mais faut pas toucher à ce sexisme là, parce que c’est un bon sexisme" ? Non ! Y’a pas de bon sexisme, y’en a pas de bon ! Il faut simplement quelqu’un de courageux, il faut quelqu’un qui a des idées, il faut quelqu’un qui a envie de changer les choses…"
Il y a quelque chose de magnifique à ce que des gens qui n'en ont rien à foutre du féminisme, rien à foutre des droits des femmes en viennent à s'en emparer pour mieux taper sur l'islam. Et c'est ainsi qu'on se retrouve avec un Eric Raoult, qui après avoir expliqué que les filles violées l'ont bien cherché, et avant de taper sur sa femme, dirige la commission burqa pour donner des leçons d'égalité à ces barbares.
On accuse souvent les féministes d'être misandres, c'est à dire de détester les hommes. Déjà en 1901, à la une d'une gazette on voyait une femme demander à une autre "es tu féministe ?" et de lui répondre "non j'aime trop les hommes".
Suite à la polémique sur des body Petit bateau, je voudrais revenir sur quelques arguments entendus ça et là.
Les débats politiques m’avaient un peu échappée en vacances et je reviens, avec retard, sur l’énième débat sur le port de la burqa dans les lieux publics.
Sarkozy vient d’ailleurs d’en parler dans un discours à Versailles.
Dissocions tout d’abord le signifié, la burqa, du signifiant ; l’idée que la femme est une tentation permanente pour les hommes, que ceux-ci sont incapables de se contrôler et que c’est donc à la femme de se cacher pour se protéger.
Comme je n'ai pas d'inspiration, je vous fais lire un de mes textes militants écrit il y a 4 ans. Polémique inside. je l'ai un peu réactualisé au goût du jour.
La journée de la femme aura lieu le 8 mars ; elle est devenue officielle en 1982 sous le gouvernement Mitterrand.
Depuis de nombreuses années, des militants féministes et antisexistes demandent qu’on cesse d’accorder de l’importance au sexe car il constitue souvent un motif de discrimination. Si l’on refuse la discrimination par le sexe, le refus de le fêter semble logique. Faire une journée de La Femme, comme si celle ci était unique, pérennise l’idée que le vocable "femme" est signifiant et doit être célébré.
En tant que militante antisexiste et féministe, je boycotterai cette journée. Lutter contre les différentiations sexistes c’est aussi refuser d’être isolées dans un groupe fondé sur la différenciation sexuelle. Les militants antiracistes admettraient-ils une journée du Noir ou de l’Arabe ?
Comme chaque année, de nombreux "centres culturels" vont, ce jour là, ouvrir leurs portes à des femmes artistes. C’est laisser entendre que les femmes ne peuvent être défendues, représentées et mises en scène que par d’autres femmes. De plus, aller à ces manifestations avalise l’idée que la lutte antisexiste ne s’avère nécessaire qu’un jour par an.
Cette journée doit évidemment être un rappel de la condition des femmes et des discriminations subies. Mais cautionner le nom de cette manifestation, participer à une journée officialisée par le gouvernement laisse entendre que nous sommes satisfaits des lois votées.
Qui a t il donc à célébrer ce 8 mars ?
Le Planning Familial est en grande difficulté financière car la loi de finances 2009 a diminué de 42 % le montant affecté au conseil conjugal et familial.
A quand l’abrogation de la loi sur le racolage passif qui stigmatise un peu plus les personnes prostituées ?
93% des salariés à temps partiel sont des femmes. 92% des dirigeants de grandes entreprises sont des hommes.
Cautionner et célébrer cette journée, c’est pérenniser la différence des sexes.
Mais c’est aussi laisser entendre à nos politiques que nous sommes satisfaits de leurs décisions et que nous ne demandons pas la mise en place rapide de toutes les mesures nécessaires à l'égalité dans les faits.