J'avais 18 ans. Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté par deux fois ce qu'il en coûte aux femmes de dire non à un homme. Leur bite qui se durcit davantage, leur excitation qui monte, leur souffle qui s'accélère et nos "non" qu'ils balaient comme un moucheron qui les agace. Le refus féminin est organisé depuis des lustres pour être au mieux considéré comme un élément supplémentaire d'excitation masculine, au pire comme une provocation méritant punition. Alors je m'étais classiquement perdue de bras virils en bras masculins, vivant l'hétérosexualité pour ce qu'elle est, une prise de risques. J'avais dit oui avant de même oser penser à dire non, consenti avant que se pose la question de céder.
Ce soir là j'étais avec un énième garçon, un de ceux qui aiment taper sur les autres hommes mais oh jamais sur les femmes même avec une fleur, et j'ai formulé un refus explicite. Tous les signes étaient là pour que cela l'énerve mais il a arrêté. Immédiatement. On a passé la nuit à rire, boire et fumer et cette nuit là, cette nuit où un homme m'avait considérée comme son égale, ne m'avait pas violée, a longtemps été dans mon souvenir une des meilleures nuits de ma vie. Et je ne sais que trop ce que cela dit.
Dans "Quand céder n’est pas consentir. Des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie" Nicole-Claude Mathieu dit : "Avant de conclure au « consentement », il faudrait s’assurer que, pour chaque société, on ait pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes peuvent subir. Une partie des limitations mentales est inextricablement liée à des contraintes physiques dans l’organisation des relations avec les hommes, l’autre est plus immédiatement une limitation de la connaissance sur la société. (...) Or, la violence contre le dominé ne s’exerce pas seulement dès que « le consentement faiblit », elle est avant, et partout, et quotidienne, dès que dans l’esprit du dominant le dominé, même sans en avoir conscience, même sans l’avoir « voulu », n’est plus à sa place. Or le dominé n’est jamais a sa place, elle doit lui être rappelée en permanence : c’est le contrôle social. (...) Il semble bien que les rapports d’oppression basés sur l’exploitation du travail et du corps se traduisent par une véritable anesthésie de la conscience inhérente aux limitations concrètes, matérielles et intellectuelles, imposées à l’opprimé(e), ce qui exclut qu’on puisse parler de consentement.
Interlude.
Elle : c'est bizarre je n'arrête pas de faire des rêves autour de mon enfance en ce moment
Moi : tu rêves de quoi ?
Elle : quand je fuyais près de la rivière
Et là je sais très exactement ce qu'elle va dire, je ne travaille pas sur les violences sexuelles depuis aussi longtemps pour ne pas avoir compris. Et je voudrais l'arrêter qu'elle n'aille pas plus loin jamais mais c'est impossible. Alors.
Moi : qui fuyais tu ?
Elle : Mon père. Il a essayé tu sais.
Mathieu a étudié une société d'Afrique de l'ouest où les femmes doivent s'adresser d'une certaine manière aux hommes ce qui les oblige à réfléchir en permanence aux bons mots à prononcer. Ici en France nous avons développé un langage fait de différentes figures de style pour parler de ce qu'ils nout font subir. Ce langage est à la fois le fruit de l'oppression masculine, heureux de nous voir, leur semble-t-il, minimiser ce qu'ils nous font, mais c'est aussi une véritable réappropriation de notre part. Car nous ne sommes dupes de rien, nous développons notre propre langage qui est notre façon de transmettre entre nous ce qu'ils nous font. Chacune sait ce qu'il y a à mettre derrière "il a essayé" et une apparente précision légale n'aurait que peu d'intérêt.
Moi : Et il a réussi ?
Elle : Non. Et puis tu sais ce n'était qu'une fois.
Je ne lui fais pas remarquer qu'elle a dit "quand je fuyais" et pas "la fois où". Je suis lâche et furieuse d'être lâche mais elle a modifié ma vie à jamais c'est ce que je me dis et tant pis si c'est égoïste.
Et elle de rajouter : "Mais tu sais il faut le comprendre. Ma mère ne voulait plus du tout ! Elle se refusait à lui ! Elle était si méchante tu sais.
Alors reprenons. "Avant de conclure au « consentement », il faudrait s’assurer que, pour chaque société, on ait pris la mesure des limitations de la conscience que les femmes peuvent subir."
J'ai grandi dans un monde où des femmes disent qu'il est logique que leur père ait tenté de les violer enfant puisqu'ils n'avaient pas accès au corps de femmes adultes. Des gens, pétris des meilleures intentions, justifient le viol d'enfants par des prêtres catholiques par le fait que ces derniers soient célibataires. Je me souviens de ce client de travailleuse du sexe qui lors d'un stage de sensibilisation (retranscrit dans l'émission Les pieds sur terre) expliquait que si on lui refuserait l'accès au corps des femmes, qu'il avait quand même la bonté de payer, en violerait c'était aussi simple que cela. Je me souviens enfin de tous ceux qui expliquent doctement, à chaque viol, que la victime n'avait pas à se rendre chez un homme inconnu comme s'il était évident, une sorte de règle non écrite qu'on aurait oublié de nous enseigner, que le viol nous y attend et qu'on est bien bête de ne pas y avoir pensé.
Il ne s'agit donc pas de savoir si le fait de céder constitue une forme de consentement mais quelle est notre marge de manœuvre pour consentir.
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour ne pas voir ce visage souriant devenir un masque de haine ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour pouvoir dormir, juste un peu ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, pour éviter de comprendre qui il est vraiment ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, parce que nous craignons de les voir tels qu'ils sont ?
Combien de fois avons nous consenti pour ne pas avoir à céder, parce qu'on nous apprend et qu'on leur apprend qu'un homme frustré a tous les droits qui va du tabassage au viol en pensant par le féminicide.
Les règles qui régissent les rapports entre hommes et femmes sont des règles non écrites, fluctuantes, souvent contradictoires. Elles ne sauraient se résumer à la métaphore de la tasse de thé. Toujours dans le même texte Mathieu évoque le cas d'une femme qui veut traverser et qu'elle manque écraser. La femme s'excuse. C'est une belle métaphore ; nous piétinons sur le bord de la route, en hésitant à traverser au milieu d'une route encombrée, nous nous faisons engueuler si nous hésitons, mais aussi si nous y allons franchement. Certains font vrombir leur moteur, ca fait rire les autres. Que va t il faire ? le fait il pour prévenir qu'il va écraser ? Previent-on avant de tuer ? Nous devons apprendre ces règles en sachant qu'elles changeront, qu'on n'en sortira jamais gagnante. Il n'y a pas de consentement possible.
Dans ce texte, je vais tenter d’expliquer en quoi la rumeur Dubaï Porta Potty, qui ré-émerge fin avril 2022 sur les réseaux sociaux, et en particulier sur TikTok mobilise des préjugés racistes, sexistes et misogynoirs (La misogynoir est une forme de misogynie envers les femmes noires dans laquelle la race et le genre jouent un rôle concomitant.). Il ne s'agit pas ici de déterminer si elle est vraie ou fausse ; sans nul doute il y a, à Dubaï comme ailleurs, des hommes qui ont ce genre de pratiques.
La rumeur
Fin avril 2022, surgit un trend sur TikTok : #DubaiPortaPotty. Des femmes non natives de Dubaï accepteraient, contre de fortes sommes d’argent, certaines pratiques sexuelles dont la scatophilie ("porta potty" désignent des toilettes portables). Elles viendraient ou habiteraient à Dubaï dans le seul but de se prostituer et cela s’expliquerait les signes extérieurs de richesses qu’elles affichent sur les réseaux sociaux. Les clients seraient des hommes natifs et citoyens de Dubaï. Sont mises sur le même plan, les femmes qui accepteraient ce genre de pratiques et celles qui seraient forcées à le faire dans le cadre d’un trafic sexuel. De la même façon, sont mises sur le même plan des pratiques sexuelles comme la scatophilie et des crimes comme le fait d’avoir des « relations sexuelles », alors qu’on est majeure, avec des mineurs de moins de 15 ans (on aurait proposé à des femmes majeures de dépuceler des jeunes garçons dubaïotes de 13 ans ce qui constitue un viol).
Les hashtags s’accompagnent de vidéos de scatophilie et de zoophilie (non sourcées, non datées). Les deux vidéos qui ont le plus été partagées permettent simplement de voir que les femmes impliquées sont noires. Début mai, une nouvelle rumeur apparait : une femme ougandaise serait impliquée dans cette affaire et n’ayant pas supporté la révélation, se serait suicidée. Sort alors une vidéo du suicide debunkée par quelques sites qui montrent qu’il s’agit en réalité d’une vidéo tournée en Russie en 2020.
Depuis le début de l’affaire, des centaines de noms de femmes ont été jetés en pâture sur les réseaux sociaux ; aucun nom de client ne l’a été. La plupart des articles en traitant met en avant l'immoralité des femmes concernées, beaucoup moins celle des hommes.
Ce hashtag ne naît pas en avril 2022 ; on en trouve trace depuis déjà quelques années.
L’idée que « les influenceuses » (il serait trop long de définir ce terme, mais disons nettement qu’il est empreint de nombreux préjugés sexistes) se seraient enrichies par le travail du sexe est née dés leur apparition. Au milieu des années 2010, un site Tag The Sponsor s’était fait pour spécialité de piéger des instagrameuses en leur proposant beaucoup d’argent contre des pratiques sexuelles. Y étaient mis en avant des riches hommes dubaïotes aux pratiques zoophiles et scatophiles. Une fois la jeune femme ferrée, le site publiait les conversations et son identité numérique avec force insultes sexistes, racistes et transphobes.
Etudions à présent les protagonistes de cette affaire.
L’homme arabe, cet éternel pervers
Dans son livre Mâle décolonisation, l’historien Todd Shepard montre combien en France a été forgée l’image d’un homme « arabe » (le terme « arabe » est entre guillemets car il désigne également des hommes qui ne le sont pas, comme les iraniens, mais sont perçus et définis comme tels par les blanc-he-s) extrêmement viril et sur-sexualisé et ce depuis la colonisation. Dans L’empire des hygiénistes, le politologue Olivier Le Cour Grandmaison démontre lui aussi qu’il existe le fantasme d’un homme arabe en proie à une sexualité anormale. Dés la fin du 19eme siècle, des médecins français vont ainsi prétendre que les hommes arabes ont un sexe plus gros que les européens car ils se masturbent davantage. Ils seraient davantage violeurs et sodomites car soumis à leurs pulsions. On peut encore faire remonter ce fantasme d’un homme arabe à la sexualité débridée à tous les écrits occidentaux autour de la polygamie et du harem ; si les arabes ont autant de femmes, c’est qu’ils ont forcément des besoins sexuels hors du commun.
L’idée que les hommes arabes auraient d’immenses besoins en matière sexuelle va être mobilisée dans les discours politiques. Lorsque les maisons closes seront fermées en France en 1946, elles resteront ouvertes en Algérie française et dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, au prétexte que sans prostituées, les Algériens vont violer d’honnêtes femmes blanches. Lors de la guerre d’indépendance en Algérie, des partisans de l’Algérie française vont prétendre que si l’on accorde l’indépendance aux algériens, ceux-ci vont déferler sur la France pour violer les femmes blanches. Todd Shepard montre également que l’extrême droite va utiliser l’image d’un arabe viril et violeur de femme pour à la fois fustiger les hommes français dévirilisés et demander la fin de l’immigration arabe pendant que la gauche utilise les hommes arabes comme figure du révolutionnaire viril.
L’homme arabe est donc porteur depuis presque deux siècles de fantasmes racistes autour de leur sexualité supposément hors norme et criminelle. L’affaire #DubaïPortaPotty ne peut se comprendre hors de ce contexte historique. Dans cette affaire, sont explicitement et exclusivement visés les hommes arabes riches citoyens de Dubaï (pour rappel plus de 90% de la population de Dubaï est étrangère). Chaque video et image les présentent vêtus du costume traditionnel, avec un ou deux chameaux pour illustrer, afin que le panel d’images caricaturales soit exploitée à son maximum.
Si l’on cherche des termes comme « arab men sexuality » sur les réseaux sociaux ou sur google, il semble acquis pour beaucoup que les hommes arabes ont une sexualité débridée, immorale et aiment à maltraiter les femmes en particulier celles qui ne sont pas « les leurs » (je mets évidemment toute l’ironie du monde dans ces guillemets). Depuis la sortie du hashtah #DubaïPortaPotty, de nombreuses femmes mettent en avant leur dégoût des hommes arabes.
Le riche arabe, cet oxymore
Lorsqu’on recherche qui seraient les hommes impliqués dans cette affaire, les termes sont sans équivoque. Reviennent beaucoup, souvent sous le clavier d’hommes masculinistes et racistes (l'un se revendique comme MGTOW), les termes de « bédouin millionnaire ».
Dans son livre, Où va l’argent des pauvres, le sociologue Denis Colombi démontre que certaines fortunes ne suscitent aucun questionnement (celles de riches familles françaises comme les Arnault ou les Pinault par exemple) au contraire de celle des footballeurs par exemple, qui sont d’anciens pauvres et souvent racisés. Il explique que les premiers possèdent le capital social et le capital symbolique qui leur permettent de justifier le fait d’être riche (maitriser les arts et la culture, avoir une légende familiale, contrôler son image publique). Au contraire les footballeurs (et on pourrait y adjoindre les rappeurs, les candidats de télé réalité, certains influenceurs) n’ont pas ces capitaux. Leur fortune est vue comme illégitime et leurs dépenses comme injustifiées, vulgaires et bling bling. Il me semble que le fait de posséder de l’argent et surtout le fait de savoir le dépenser, de façon raisonnable, est aussi vue comme une qualité et une compétence de Blanc-he-s (et surtout d’hommes blancs). Les Autres, qu’ils soient juifs, arabes, noirs, asiatiques, ont des fortunes forcément suspectes qu’ils dilapident de manière inconsidérée. On ne compte plus les reportages en France sur ces chinois qui achètent du vin hors de prix qu’ils seraient incapables d’apprécier, ces arabes qui se font construire des circuits automobiles privés ou ces présidents africains qui couvrent de diamants leurs 50 palais. Il ne s’agit pas de nier que les très riches ont des dépenses inconsidérées mais de comprendre que celles-ci ne sont pas vues de la même manière selon qu’on est blanc ou pas. Lorsqu’en France nous dénonçons l’usage qui est fait de l’argent public, que ce soit pour acheter de la vaisselle, des langoustes ou des fleurs, nous ne nous attaquons pas à l’objet de ces dépenses. Pour beaucoup d’entre nous, nous avons intériorisé que la langouste, la jolie vaisselle ou les fleurs fraîches sont des dépenses légitimes, qu’il ne faut juste pas faire avec de l’argent public. Au contraire lorsqu’un émirati, un rappeur noir ou un milliardaire chinois dépensent leur argent, très vite, les commentaires vont dénoncer la façon de le faire. Il y a donc des codes à maitriser et d’évidence les dubaïotes ne les maitriseraient pas. Dans ce contexte, l’expression « bédouin millionnaire » est explicite ; elle renvoie donc à l’idée d’un enrichissement récent, illégitime, par des gens ne maitrisant pas les codes sociaux et culturels puisqu’à peine sortis du nomadisme et de l’élevage des chèvres et des chameaux. Alors qu’un Bernard Arnault a réussi à force de travail et d’intelligence, l’émirati aurait juste eu à planter un bâton dans le désert, le jour où il cherchait à attacher son chameau et pouf le pétrole a jailli, il n’aurait eu aucun effort à faire. Sa richesse n’est donc pas le fruit de son travail ou son intelligence mais du hasard. Encore une fois, il ne s'agit pas ici de défendre le travail des émiratis, mais de constater la différence de traitement selon qu'on est ou pas racisé.
On a donc déterminé deux stéréotypes :
- l’idée que les arabes en général ont une sexualité hors norme, exacerbée et perverse
- l’idée que les hommes dubaïotes ont de l’argent à ne plus savoir qu’en faire et ne possèdent pas les codes pour bien le dépenser
Et c’est ainsi que nait l’idée que les hommes dubaïotes sont des pervers sexuels prêts à dépenser des sommes folles pour pratiquer des actes sexuels extrêmes.
Deux sont particulièrement convoqués ; la scatophilie et la zoophilie (avec les chameaux tant qu'à faire) (a-t-on besoin de souligner l’imaginaire encore une fois raciste de cette image ?).
L’homme émirati, ce nouveau marquis de Sade
Dans l’imaginaire autour des violences sexuelles et des pratiques sexuelles hors norme (même s’il conviendrait là aussi de définir ce qu’elles recouvrent mais cet article est déjà trop long), coexistent deux idées
- l’idée que les très riches, les « puissants » auraient une sexualité débridée, hors norme, perverse
- l’idée que les très pauvres seraient dans le même cas (souvenez vous de toutes les « blagues » autour des gens du nord consanguins par exemple, qui ont toujours visé les classes populaires du nord, jamais évidemment les classes bourgeoises. Cela a également visé au 19eme siècle les ouvriers, par exemple les canuts lyonnais).
Cela sert beaucoup à alimenter des idées reçues sur les violences sexuelles en les expliquant par les origines sociales ou la richesse des coupables.
Rien n’a jamais validé ces deux stéréotypes. Les riches – puisque c’est d’eux qu’on parle ici – ne violent pas davantage et n’ont pas des pratiques sexuelles particulières (si tant est qu’on peut l’estimer). On peut tout au plus dire qu’ils ont davantage les moyens de se protéger lorsqu’ils sont attaqués médiatiquement ou judiciairement, parce qu’ils connaissent les lois, ont un capital social et symbolique. Encore une fois il ne s’agit pas de dire qu’aucun riche n’a jamais payé une femme pour lui déféquer sur le visage mais le justifier par le fait qu’il est riche, ou arabe ou les deux est, comme souvent, mal comprendre ce que peut être la domination masculine.
Pour le dire simplement, les hommes défèquent autant partout.
Les femmes ces éternelles salopes vénales
S’il existe bel et bien de la prostitution à Dubaï, il est extrêmement difficile de déterminer le nombre de prostituées qui y travaillent. Certains avancent le chiffre de 45 000 personnes mais qui n’est jamais justifié. Une chercheuse américaine Pardis Mahdavi a travaillé sur le trafic sexuel à Dubaï : elle considère qu’il y a en effet beaucoup de prostitution dans la ville sans pour autant la chiffrer. Ses recherches semblent démontrer que les femmes pauvres migrantes qui arrivent à la prostitution après avoir exercé d'autres activités, le font parce que les conditions de travail précédentes (travail domestique par exemple) étaient pires (« My fieldwork revealed, however, that women move into the sex industry as a way out of the oppression they experience in domestic work or in joblessness in their home countries »). Il ne s’agit pas d’idéaliser le travail du sexe mais de démontrer que les autres activités peuvent également être sources d’oppression y compris sexuelles (il y a eu de nombreux travaux sur les violences sexuelles dont sont victimes les maids dans les EAU par exemple si le sujet vous intéresse). Comme Mahdavi le démontre, le terme de trafic humain a été réduit au fait, pour des hommes, d’enlever des femmes et de les forcer à la prostitution. Or, le travail forcé quel qu’il soit, peut être appelé trafic humain. Si l’on sous-paie, maltraite une femme de ménage qu’on force à travailler, il s’agit bel et bien de trafic humain. Cette définition trop restreinte du trafic d’êtres humains en général et des femmes en particulier a entrainé une panique morale qui a contribué à invisibiliser la volonté des femmes à migrer, à faire d’elle des victimes (de la traite) ou des criminelles (car voulant se prostituer). Dans cet article, les deux autrices étudient le stigmate attaché aux femmes marocaines (ou vues comme telles) à Dubaï qui fait qu’elles sont vues comme des prostituées en puissance. Pour lutter contre la traite humaine , il convient de comprendre que la traite n'implique pas que la prostitution mais bien d'autres activités. Pour lutter contre la traite, il ne faut pas invisibiliser les femmes migrantes, les empêcher de le faire, les voir systématiquement comme des victimes mais au contraire les protéger tout au long de leur parcours migratoire.
Mahdavi le démontre également, il y a des préjugés de classe et de race dans la prostitution à Dubaï ; et les femmes noires africaines qui se prostituent sont celles qui sont le plus stigmatisées et discriminées.
Rappelons qu’en théorie, la prostitution est illégale à Dubaï ; on risque la prison, des amendes et l’expulsion.
Dans les multiples discussions autour de #DubaiPortaPotty les femmes sont bien davantage mises en accusation que les hommes, et en particulier les « influenceuses », terme un peu fourre-tout qui désigne apparemment ici une femme qui a une présence numérique plus ou moins importante et affiche ostensiblement des signes extérieurs de richesse.
Denis Colombi le montre bien dans son livre, il faut mériter son argent et beaucoup de considérations morales y sont rattachées. Il ne faut pas trop l’exhiber et si on le fait, il faut envoyer des signes qu’on a mérité cet argent, et qu’on a su le dépenser d’un manière convenable.
La capacité à gagner de l’argent est vue comme une qualité essentiellement masculine et les femmes riches souvent suspectées de l’avoir acquis de manière illégitime, c’est-à-dire par la prostitution (on pourrait là aussi se demander en quoi c’est illégitime mais encore une fois cet article est déjà très long). En se bornant au milieu des influenceurs, on pourrait dire que tous les hommes qui s’enrichissent à coups d’arnaques au CPF, de paris sportifs, de NFT, de trading et autres pyramides de Ponzi, ne sont pas devenus riches de manière extrêmement honnête mais pourtant ce sont les femmes qui sont mises en accusation, alors même qu’elles sont parfois victimes.
La migration des femmes n’est donc pas vue de la même manière que celle des hommes, même si la classe sociale et la race jouent évidemment également. La sociologue Gail Pheterson montrait ainsi que la volonté de migration des femmes dans certains pays avait été bridée au prétexte qu'elles risquaient de se se prostituer ; des femmes haïtiennes se sont vues ainsi refuser un visa d’entrée aux Etats-Unis. Elle déclare ainsi « il y a de fortes chances pour que le stigmate et le chef d'accusation auxquels la femme migrante par besoin économique va être confrontée seront la prostitution » On peut rajouter qu’à l’heure actuelle ce sont la majeure partie des femmes qui migrent dans certains pays qui sont vues comme de potentielles prostituées ; celles qui y échappent sont celles en couple hétérosexuel et/ou qui ont un emploi de cadre supérieur ou équivalent. Beaucoup de femmes qui viennent seules à Dubaï sont suspectées d'être prostituées ; cela touche en particulier les marocaines comme je le disais plus haut.
L’affaire #DubaiPortaPotty est révélatrice d’un sexisme certain :
- les femmes adorent les choses inutiles et chères comme les sacs à main de luxe : elles sont superficielles. En effet est surtout mis en avant le fait que ces femmes ont accepté ce genre de choses pour se payer des articles de luxe et pas pour survivre.
- pour les obtenir, elles sont prêtes à tout y compris à des actes sexuels dégradants avec des hommes et, critère qui semble être aggravant, qui ne sont même pas de la même culture/nationalité qu'elles : elles sont corrompues et dépravées.
En creux, cela nous dit que les femmes qui paraissent riches sur les réseaux sociaux le sont d’une manière illégitime (ce qui veut dire qu’il y a des manières légitimes de l’être) et que cette illégitimité s’accompagne de perversité. Cela oblige forcément toutes les influenceuses à apporter des preuves de leur moralité et à se désolidariser des travailleuses du sexe en condamnant leur immoralité supposée. Cela met évidemment en avant que là où les influenceurs ont des dépenses méritées et mesurées (les voitures de luxe par exemple), les influenceuses ont des dépenses irraisonnées et inutiles (les sacs de luxe). La « bonne façon » de dépenser son argent est donc vue au prisme social, racial mais aussi de genre.
La femme noire, l’archétype de toutes les femmes vénales
Il existe un fort stéréotype misogynoir qui insinue que les femmes noires sont vénales et prêts à tout pour avoir de l’argent. C’est le trope de la femme noire « gold digger » qui est analysé dans cet article par exemple. Les femmes noires en général et africaines en particulier seraient prêtes à tout pour obtenir de l’argent y compris aux choses les plus dégradantes. Il n’est pas étonnant dans ce contexte que les seules vidéos censées témoigner de cette affaire, mettent en scène des femmes noires. Nous l’avons vu, la richesse légitime est associée aux hommes blancs. Une femme noire aura d’autant plus à justifier l’origine de sa richesse si elle la montre sur les réseaux sociaux et encore plus si elle est africaine. Les marques de luxe, lorsqu’elles ont commencé à produire des accessoires moins chers afin que des gens moins fortunés puissent se les acheter (la fameuse banane ou casquette Vuitton par exemple) ou lorsque des « riches illégitimes » ont commencé à acheter des pièces chères ont perdu en prestige. Le luxe doit revenir aux bourgeois blancs exclusivement. Lorsque Oprah Winfrey se fait refouler d’un magasin de luxe en Suisse, c'est parce qu'une femme noire n'a rien à faire dans un tel magasin, elle y est illégitime à ne serait-ce qu'y entrer. Et lorsqu’on y rajoute l’origine géographique, cela s’accentue ; une femme noire africaine aura sans cesse à justifier qu’elle a gagné honnêtement l'argent de ses sacs de luxe, que ceux-ci sont bien authentiques et qu'elle a acheté les bons modèles (pas trop bling bling).
Si des influenceuses de nombreux pays ont été dénoncées dans l’affaire #DubaiPOrtaPotty, les influenceuses noires africaines ont payé un prix très lourd avec des listes de noms dévoilées. Beaucoup ont été sommées de s’expliquer. Des hommes (sans surprise) prétendent détenir les listes des coupables et déclarent ainsi : 5 influenceuses, 7 miss, 8 artistes, 6 web comédiennes, 16 tik tokeuses, 7 mannequins et 2 animatrices télés chroniqueuses sont mises en cause pour la Côte d’Ivoire. Au-delà des rumeurs définitivement liées au nom de ces jeunes femmes, cela met en danger ces femmes. La prostitution et les « conduites immorales » sont interdites à Dubaï et les femmes dont les noms circulent peuvent être emprisonnées ou expulsées du jour au lendemain sur la foi de simples rumeurs racistes et/ou sexistes, d’autant plus si elles sont noires et africaines. Il a été démontré que les femmes subissent beaucoup plus de harcèlement que les hommes sur les réseaux sociaux et que ce harcèlement s'accentue encore si elles sont noires ; l'affaire #DubaiPortaPotty en est encore une preuve.
Dans ce texte, vous l’aurez compris, je ne me suis pas intéressée à la véracité du #DubaiPortaPotty. ll y a des femmes qui se prostituent à Dubaï. Je cherche en revanche à montrer tous les stéréotypes racistes, sexistes et misogynoirs associés à cette affaire. L’idée est ici clairement de « faire tomber » des femmes et même si on peut n’avoir aucune espèce de sympathie pour celles et ceux qui choisissent l’exil fiscal à Dubaï, pas plus que pour des émirati richissimes, on peut également dénoncer les stéréotypes sexistes et pour certains racistes dont ils sont victimes.
Il fallait les voir ces 20 dernières années nous expliquer que les publicités sexistes on s’en foutait, tout comme le langage, l’éducation sexiste ou la taxe rose. Seules comptaient, disaient-ils de ceux qui ont étudié le sujet, les violences sexuelles. C’est qu’on n’y avait pas pensé, pauvres truffes qui se contentions de les subir, pauvres connes qui ne sont rien sans qu’on leur explique où pisser et comment le faire.
Personnellement, depuis que je m’y intéresse, il y a eu une petite variante ; je m’y intéresse mal. Pas comme il faut. Je n’emploie pas les bons mots, je ne sors pas les bonnes études et je vexe à peu près tous les hommes de bonne volonté (et ils étaient nombreux) qui étaient tout prêts à m’écouter si j’avais eu une once de bonne foi.
Lorsqu’il y a eu le mouvement #MeToo, je me suis tout de même dit qu’en leur posant cet énorme étron au milieu du salon, cela allait être difficile qu’ils pinaillent. C’est beau la naïveté à mon âge.
Tout a été tenté.
Nous étions tour à tour, mythomanes, folles, hystériques, dignes des meilleurs collabos, incapables d’estimer des situations à leur juste valeur, infoutues de comprendre l’humour, inaptes à saisir l’essence de la France (qu’on reconnaîtrait apparemment aux types qui violent des femmes, tout en expliquant qu’ils sont l’archétype du séducteur à a française), ruinant la vie de types qui devenaient tous des Dreyfus en puissance.
Certains sont allés jusqu’à reconnaître les violences. Mais ils ont ressorti ce concept merveilleux, déjà vu lors des affaires DSK ; le puritanisme infoutu d’admirer les traditions françaises de galanterie. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas violence, nous disaient-ils, il y a violence amoureuse, de qui fait toute la différence. Tu voyais ces coqs en érection sur leur tas de fumier, te dire encore et encore que c’est CA la France madame, cette si excitante domination sexuelle entre hommes et femmes que tu appelles violence et qu’ils appellent sexe.
Et là j’ai tout bonnement commencé à me dire qu’il y avait encore du boulot.
« Mesdames, on est contre le viol… tout contre », ricanaient-ils grassement.
L’inertie masculine est une chose merveilleuse, tant elle est matinée d’une mauvaise foi proverbiale. Ils savent. Ne vous leurrez pas, ils savent. Ils savent qu’on ne met pas de main aux fesses, qu’on ne traite pas les femmes de salope qui ne vous disent pas bonjour, qu’on ne force pas la copine qui a trop bu et que non c’est non. Ils savent et ils font parce qu’ils en ont le pouvoir. Ils savent et ils font parce que leurs copains ne leur disent rien, parce qu’on pourra bien hurler que ca fait mal, qu’a minima ca gâche la journée d’avoir encore été prise pour un déversoir à sperme, c’est un peu comme si un réverbère leur parlait. Enfin. Ces gars là, dont la plupart des activités se passent à se gratter le cul entre la machine à café et une video youtube de chat qui pète, donnent déjà des leçons d’incompétence à des astrophysiciennes, des mathématiciennes ou des historiennes. Et on penserait que nos petits sentiments, nos petites plaintes de femmes lambda, leur feraient quelque chose ? Ils savent et ils ne font rien parce que le silence masculin, la corporation masculine, le boy’s club masculin les tient tous par les couilles. Je n’excuse pas, j’explique. Bros before hoes disent les américains. « Les potes avant les putes ». Ce qui fait que le moindre connard sera soutenu parce que la mythologie masculine veut qu’on se soutienne entre couilles, que Jean-Michel Gros Con vaut toujours mieux que n’importe quelle femelle, et que très peu de mecs ont envie d’être mis à part du merveilleux groupe des mecs qui en ont.
Oh ils accordent parfois de la valeur aux femmes, ne nous y trompons pas. Lorsqu’elle leur est apparentée. C’est le seul angle qui marche parfois c’est dire le peu d’espoir qu’on a. « Mais traiterais tu ta sœur ainsi ? » tente-t-on parfois (en oubliant que la plupart des viols ont lieu dans le cercle familial donc oui sans doute qu’il pourrait traiter sa sœur comme ca).
Et puis il y a eu une focalisation médiatique politique et féministe sur les féminicides. Pourquoi pas, t’es là avec ton espoir qui pèse encore 20 tonnes, ou tu te dis qu’ils ne vont pas oser. Quand on te présente le corps d’une femme lardé de couteau, balancé du 5eme étage, ou écrasé par une bagnole, y’a moyen qu’ils s’émeuvent. Mais on avait choisi le mauvais mot dis donc. C’est qu’on est maladroite. C’est pourtant pas compliqué ; ils sont tous prêts à être contre le viol et le féminicide si
- on ne leur en parle pas trop
- on emploie les mots qui leur plaisent
- on parle d’abord des mecs violés et des mecs battus.
- on écarte tous les cas où les femmes l’ont bien cherché.
Je disais hier dans un article sur la bonne victime de viol qu’il fallait qu’elle soit morte, caramba encore raté, même mortes voilà qu’ils nous trouvent encore dans notre tort. Mais que n’a-t-elle choisi un gars comme moi ? Pourquoi se foutent-elles avec des gros cons ?
L’inertie masculine en matière de droits des femmes est chose terrifiante. Terrifiante parce qu’on ne peut plus se bercer de l’illusion qu’ils ne savent pas. Ou qu’ils ne comprennent pas. Ou qu’on leur a mal expliqué. Ils auraient tous cette incroyable compétence dans tous les domaines, qui leur font régulièrement expliquer à des femmes spécialistes leur propre domaine d’expertise, mais devant le sexe seraient des enfants perdus qui ne savent plus rien. Ils perdraient devant leurs potes en train de tenir des propos sexistes, toute capacité d’analyse. « ah bon lorsque Jean-Michel disait que les femmes sont toutes des grosses putes c’était pas un trait d’humour brillant à la Desproges, que tu n’as évidemment pas compris, femelle inculte, voire la dénonciation du sexisme par des propos sexistes ? ». Oh je les vois pérorer un peu partout sur l’incurie de Schiappa, sur ces salauds de violeurs, tout en continuant à rigoler grassement avec des types qui sont misogynes parce qu’il faut séparer l’œuvre de l’artiste n’est ce pas. (et puis il soigne le cancer/a défendu une victime de viol/ est spécialiste de la plantation du rhododendron/s’occupe bien de sa vieille maman). Je les vois savoir que leurs potes sont des agresseurs sexuels « mais quand même on est pas sûr ».
Le backlash est là, énorme, terrible et pire on le voit moins, on se fait baiser la gueule parce que tous les media, productions culturelles ont désormais bien compris que le féminisme fait vendre et nous balancent du feminism washing à tout va. Productions culturelles indigentes dans lesquelles on a collé trois bonnes femmes et dont on se contente vaguement en se disant que c’est toujours ca, articles douteux sur les féminicides où des journaux prétendent avoir constitué des task forces dédiées aux féminicides tout en dédiant des éditos à des pensées masculinistes. Je n'arrive même pas à me réjouir de créations comme Unbelievable sur Netflix. Déjà parce que c'est le quotidien de plein de femmes que de n'être pas crues quand elles disent avoir été violées et frappées (et en fait je préfère regarder un truc qui ne me rappelle pas des trucs glauques) et parce que voir des types avoir des épiphanies devant cette série, me donne des remontées gastriques. "Vous rendez-vous compte ? halala incroyable ca m'a fait mal au bide." Moins que les vraies femmes, dans la vraie vie qui avaient témoigné apparemment. Que voulez-vous, on ne sait pas faire une bonne mise en scène dans la vraie vie.
Je me souviens avoir expliqué un jour à un journaliste, qui voulait écrire sur le harcèlement, et donner à la fois la parole aux harceleurs et aux harcelé-e-es, que ca ne marchait pas comme ca, qu’il n’y avait pas 15 mn pour les juifs et pour les nazis. Il n’a pas compris je crois parce que le fait est beaucoup ne sont pas tout à fait convaincus que le viol c’est mal. Qu’il faut arrêter de violer ou de harceler les femmes. Oh bien sûr, si tu leur montres Mindhunters avec un tueur en série, là ils arrivent à comprendre. Mais le reste du temps (99,99999999999999% du temps) c’est difficile. Et comme on n’a pas toute la chance d’être violée par un tueur en série, ma foi on ne rentre pas dans leurs petites cases de la bonne victime. C’est comme s’il devait y avoir débat sur le viol ou sur le violences faites aux femmes, pour vraiment savoir s’il y a des coupables et des victimes.
Les hommes ont parfaitement compris et intégré ce que nous subissons. Mieux ils ont tout aussi compris que cela tient à leur comportement (direct, lorsqu’ils agressent, indirect lorsqu’ils se taisent face aux hommes qui agressent) ; et comme ils ne tiennent pas à changer une once de leur comportement, les violences ne reculeront pas.
[Comme est on est un peu maso par ici, le blog est ré-ouvert aux commentaires]
Je les vois partout. Je sais que du premier au 104eme féminicide, ils nous demanderont uniquement pourquoi on parle de féminicide en alternance avec « pourquoi n’est-elle pas partie avant cette connasse naïve/halala ces sales vaches connasses toujours à s’intéresser aux bad boys alors qu’il y a des braves gars comme moi pas misogynes pour un sou ».
« Mais enfin ca n’existe pas le mot féminicide ! » Comme s’il y avait des mots qui avaient toujours existé, que le langage n’était pas en soi une construction, un truc établi une bonne fois et on n’y touche plus. On a des mauvais petits ersatz de Marchel Duchamp du langage à chaque femme massacrée c’est fascinant.
21 ans cette année. 21 ans que je pénètre dans le foutu garage où mon père s’est suicidé. J’ai pensé mille fois le démolir pierre par pierre. J’y vais, je rentre, je sais exactement ce que je faisais ce jour-là et je réfléchis à comment on aurait pu l’éviter, si c’était souhaitable et aussi égoïstement ce que cela a a changé dans ma vie (tout). 21 ans que je vois des sales merdeux instrumentaliser le suicide de gars comme mon père pour éviter de parler des violences faites aux femmes par les hommes. Je dis de gars comme mon père parce qu’il cochait comme la majorité des hommes qui se suicident toutes les cases ; moyen utilisé, raisons, incapacité de parler etc. Ces gens s’en contrefoutent en général puisque le moindre mec qui oserait exprimer son mal être sur les réseaux sociaux est moqué, vilipendé, voire poussé au suicide. Qu’on ne vienne donc pas me prétendre que le suicide des mecs les intéressent c’est un mensonge, une sale petite instrumentalisation. Les mecs sont tellement mal à l'aise avec la fragilité masculine que c'est le seul argument qu'ils sont en bouche d'ailleurs lorsqu'il s'agit de contrer la propagande masculiniste et fasciste de certains. "Halala qu'est ce qu'il est fragile" braillent-ils face à un masculiniste comme si le problème était là.
Oui les hommes complètent plus leur suicide. Oui les hommes sont les premières victimes des violences. Guess what ca a même été théorisé par les féministes. Seulement les solutions qu’on propose pour mettre fin à ce cycle infernal ne plaisent pas parce qu’il faudra évoquer que ça a tout à voir avec la construction de la virilité. Tout à voir avec le fait que dés le plus jeune âge, on apprend à un garçon qu’on règle ses problèmes par les poings sinon on est une « terme homophobe » et qu’on ne chiale pas sinon on est une « terme sexiste ». Et quand tu vois que même le plus féministe des mecs (c’est celui qui est pour la prostitution et qui aime bien photographier des femmes à poil dans le cadre de la body positivity) n’a qu’une idée en tête c’est faire usage de violence (toute verbale hein) lorsqu’un type est sexiste, tu te dis qu’on n’a pas le cul sorti des ronces. Il faut être respecté des femmes apprend-on partout ; se faire humilier par un mec c’est déjà pas trop mais alors par une femme… et il semble que les hommes ont l’indignation chatouilleuse.
Le fait est que l’essentiel des viols et des violences physiques et des violences psychologiques et des féminicides ont lieu dans le couple hétérosexuel et que c’est invariablement un homme qui frappe/viole/tue une femme. Il existe mille et une formes de conjugalité mais non c’est dans ce schéma là que se déroulent l’essentiel des violences.
Et c’est là que ca coince. Parce qu’autant on est prêt à admettre que Patrice Allègre ne doit pas trop trop aimer les femmes pour les massacrer et les violer, autant ca passe moins d’un mec totalement lambda. Alors on essaie de combler les trous en se demandant comment notre vision du couple (et le pavillon avec le chien le gâteau a trois étages payé une blinde avec le couple au sommet on passe d’une femme la gorge ouverte sous le nez des mômes). Alors on individualise. On évite l’éléphant dans la pièce (tiens merde c’étaient tous des hommes) pour se concentrer sur l’accessoire, le steak était trop cuit, elle avait une jupe trop courte. On tente de rendre les pseudo raisons de frapper ou de tuer ridicules afin de montrer combien il devait être déséquilibré. Parce que ca permet ainsi de ne pas s’intéresser aux causes profondes de la violence masculine et d’en faire un problème systémique.
Enfin merde. Si les hommes sont responsables de l’immense majorité des crimes et délits, victimes et auteurs principaux des homicides, responsables des accidents de la route les plus graves, responsables de la quasi majorité des violences sexuelles, est ce que non ca n’a rien à voir avec le fait que cela soit des hommes et la construction masculine ?
On nous dit mais c’est quoi ca le féminicide tuer une femme parce qu’elle est femme. Le féminicide c’est tuer une femme pour des raisons misogynes, parce qu’on estime qu’elle ne s’est pas comportée comme une femme devrait se comporter. Elle n’a pas obéi à son mari, elle l’a quittée. Elle n’a pas fait correctement sa part de tâches ménagères. Elle ne s’est pas habillée comme il le souhaitait. Tout ceci ne sont évidemment que des prétextes, ne nous y trompons pas. Il frappe parce qu’il estime qu’il a le droit de frapper sa femme parce que dans notre société – même là oui en 2019 – tout concourt à dire qu’on est propriétés des hommes et qu’on leur doit quelque chose sinon ils s’énervent.
Je ne peux m’empêcher de penser, en permanence aux dizaines de fois où on m’a expliqué que Samantha Geimer savait à quoi s’attendre en allant chez Polanski comme si cette réalité évidente, toute simple m’avait échappée ; aller chez un homme seule c’est s’exposer à un viol parce que les hommes sont comme ca. Et bien ne pas faire ce que veut un homme c’est s’exposer à ce qu’il s’énerve et c’est comme ca. Il n’y a rien à changer.
Observez qu’on interroge toujours pourquoi les femmes ne partent pas mais jamais pourquoi les hommes tuent. Comme si ca allait de soi. Comme si, même là, il fallait éviter d’être tuées et pas de tuer.
Observez nos pathétiques tentatives pour tenter de réduire les violences faites aux femmes par les hommes. Elles sont toujours après. Après les viols. Après les coups. Après les morts. Comme si on avait abdiqué. Comme si on savait qu’on ne pouvait pas faire grand-chose au fond avant parce qu’ils sont comme ca, qu’ils dérapent, qu’ils s’énervent, qu’ils ont du tempérament, qu’ils ont un peu sanguins, qu’ils ont de la testostérone à revendre, qu’ils ont du mal à se contrôler. Et comme on doit faire leur ménage, des pipes et penser à ce à quoi ils n’ont pas pensé, on doit aussi penser à ce qu’il faut faire pour ne pas les mettre en colère.
Personnellement beaucoup d’hommes sur les réseaux sociaux m’ont prise dans leur toile d’araignée. Ils m’ont tellement répété année après année que si je ne réponds pas correctement à toutes leurs demandes, alors ils se comporteront mal avec les femmes (et ca sera de ma faute). C’est un raisonnement extraordinaire, totalitaire et fascisant dans lequel je suis tombée à pieds joints.
Le fait est que plein d’hommes haïssent les femmes. Oh je n’ai pas de chiffres, non. J’ai juste en tête, comme des millions de femmes, a minima tous les moments où les hommes ont fermé leur gueule quand leurs potes se comportaient comme des porcs et qu’ils fermaient tous leur gueule, parce que ce n’est pas si grave, que c’est juste une blague, que par ailleurs il n’est pas comme ca, et puis il est tendu en ce moment et puis y’a pire dans la vie tout de même.
le fait que les violences physiques et sexuelles se déroulent dans un contexte hétérosexuel, qu’on nous a vendu comme quelque chose d’à la fois profondément naturel (donc normal) et où hommes et femme s’aiment d’un amour tendre empêchent de réfléchir à ce que sont les violences patriarcales. Un homme violent pourrait frapper n’importe qui dans la rue si son problème était juste la violence. Un homme violent et misogyne pourrait frapper n’importe quelle femme dans la rue si son problème était juste la misogynie. (ne venez pas prétendre qu’il le fait parce que les volets sont clos, le nombre de mecs qui frappent leur femme qui hurle et que tout le voisinage entend montre que votre théorie est foireuse). Il frappe parce qu’ils le peuvent, ils frappent parce que l’histoire du mariage (vous y tenez tant à votre histoire quand il s’agit de justifier des conneries allons y gaiement) a dit que la femme était la propriété du mari et que, ma foi, ca compte encore.
Je ne comprends pas pourquoi on est si long. Enfin si je le comprends, parce que tout ceci n’a au fond pas grande importance. Parce qu’au fond la violence exercée contre les femmes par des hommes est toujours plus au moins justifiée. Même dans les cas d’assassinats.
Elle aimait les bad boys
Elle était restée
Elle est sortie tard le soir
toutes les raisons sont là toujours pour dédouaner les hommes violents et aussi s’en distancier.
Je ne vois plus d’issue. Atwood disait « les femmes ont peur d’être tuées par les hommes, les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux ». Elle donne beaucoup trop d’importance à ce que les hommes pensent des femmes. Les hommes ont peur que les autres hommes se moquent d’eux. Ils ont peur qu’ils se moquent d’avoir été quittés, qu’ils remettent en cause leur virilité, qu’ils soient traités de manière homophobe. La violence masculine n’est pas un problème individuel qu’on gérera par des politiques à l’avenant. Ca laissera toujours entendre qu’un homme violent uniquement pour des raisons qui lui sont propres et que les dizaines de personnes violées, frappées et tuées chaque année le sont par autant d’individus tous différents les uns des autres. La violence n’est pas un avatar de la virilité, elle en fait partie à part entière. La violence EST virile.
L’idée la plus courante en matière de violences conjugales est que les femmes battues n’ont qu’à partir. Ainsi il n’est pas rare, sur les réseaux sociaux, lorsqu’on apprend qu’une femme a été tuée par un homme qui la battait depuis longtemps, de culpabiliser la victime en se demandant si elle ne devait pas aimer cela, au fond, pour être restée. Dans une affaire où la victime a subi un viol si brutal par son conjoint qu’elle en est décédée, un commentaire sous l’article dit : « Elle avait déjà été soignée pour des blessures mais aucune plainte n’avait été déposée à l’époque : la peur, voire la bêtise, de ces femmes les rend aveugle pour leur plus grand malheur. » Eclaircissons de suite ce point, la violence conjugale ne doit pas être confondue avec des pratiques sadomasochistes qui impliquent le consentement de tous les protagonistes. Et essayons d’analyser les raisons qui font qu’une femme battue ne quitte pas son conjoint.
Je lis ces juristes, réels ou autoproclamés, parler à des féministes, qu’ils jugent, forcément, incapables de comprendre le droit, incapables de comprendre une décision de justice, toutes pleines qu’elles seraient, de ressentiment, de pensées terre à terre, de bile et de colère. C’est ce qui nous caractériserait, leur semble-t-il, cette incapacité à prendre de la hauteur face à une décision de justice qui a, encore, acquitté un violeur.
Il est curieux de croire que la justice se rend, dans notre pays, dans une atmosphère de parfaite impartialité. Il est naïf de penser que Le Grand AvocatTM n’utilise pas des subterfuges discriminatoires, dont il est d’ailleurs souvent conscient, pour défendre son client. Il ne s’agit évidemment pas ici de remettre en cause le droit d’un homme à être défendu mais de s’interroger sur ce qui fait que telle ou telle défense fonctionne, jour après jour.
L’idée que la Justice se rendrait dans une parfaite neutralité est, depuis longtemps, mise à mal. Une étude a démontré que l’indulgence du juge face à l’accusé est influencée par le moment de la journée où se déroule le procès. On sait également que les violences sexuelles en France sont commises à part égale dans toutes les classes sociales ; pourtant ce sont, comme pour la quasi-totalité des autres délits et crimes d’ailleurs, les classes populaires qui sont surreprésentées dans les tribunaux, puis condamnées. Aux Etats-Unis, face à un jury entièrement blanc, un accusé noir aura plus de risques qu’un blanc d’être condamné. Il suffira d’un seul juré noir, pour que la discrimination cesse. On sait que le verdict peut être influencé par le sexe, l’âge, la catégorie socio-professionnelle et l’appartenance ethnique des membres du jury. On a montré que les hommes du jury vont s’identifier davantage à l’auteur du viol et les femmes à la victime. Une victime de violence sexuelle si elle est jugée non crédible, pourra ne pas obtenir justice. Et la crédibilité se joue à peu de choses ; ainsi en Suède une majorité de policiers et de procureurs interrogés pensaient pouvoir juger de la véracité d’une victime sur les émotions qu’elle exprime. Or différentes études cliniques ont montré que les attitudes d’une victime après le viol peuvent être très « incohérentes ». Elle peut rire, plaisanter ou au contraire hurler sans que cela ne dise rien de ce qu’elle a subi. Dans certains postes de police américains, on forme désormais d’ailleurs les policiers à ne plus tenir compte de l’attitude générale de la victime.
Le jury sera influencé négativement si une victime de viol souffre de problèmes mentaux, est toxicomane ou qu’il la juge attirante ; et c'est très préjudiciable pour les victimes car les malades mentales et les personnes toxicomanes sont, plus que le reste de la population, susceptibles d'être sexuellement agressées. Une autre étude suggère également que le jury aurait de préjugés clairs si une victime de viol connaissait déjà son agresseur (ce qui est le cas, rappelons-le, dans la plupart des cas de violences sexuelles).
On sait également que des acteurs et actrices du système judiciaire, sont, en France, soumis à de nombreux préjugés sur les violences sexuelles. Ainsi une étude de Véronique le Goaziou intitulée Les viols dans la chaîne pénale montrait que certains acteurs de la chaîne pénale continuaient à penser qu’un viol digital (un viol fait avec un doigt) n’a pas à être jugé aux assises mais au tribunal correctionnel. C’est remettre en question l’esprit même de la loi sur le viol qui ne qualifie pas ce qui a été utilisé pour violer. Ces acteurs du système judiciaire peuvent estimer pour de multiples raisons que la loi devrait être changée mais il faut en ce cas œuvrer pour, et ne pas la créer des inégalités de fait devant la loi en envoyant au regard de ses convictions personnelles, qui devant les assises, qui devant le tribunal correctionnel. Cette étude est très utile pour démonter une idée reçue couramment entendue ; ce serait les jurés qui feraient n’importe quoi face aux violences sexuelles alors que les autres acteurs de la chaîne pénale, du haut de leurs connaissances et diplômes, seraient exempts de tout reproche. L’étude montre au contraire les très nombreux stéréotypes dont ils souffrent. Audrey Darsonville, professeure de droit, qui a étudié les raisons des classements sans suite des plaints pour viol démontre ainsi que certaines affaires sont classées en raison de la fragilité de la victim et voici ce qu’elle en dit : « À défaut, la vulnérabilité de la victime devient un élément discriminant à son encontre lors de poursuites pénales au lieu d'être un élément de nature à accroître sa protection par les autorités de poursuite. » Il est donc capital de bien percevoir qu’il existe de nombreux stéréotypes sexistes à l’œuvres dans les tribunaux.
En 2014, un rapport fut remis au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, intitulé « Eliminating judicial stereotyping : Equal access to justice for women in gender-based violence cases » (éliminer les stéréotypes judiciaires : un accès égal pour les femmes à la justice face aux crimes sexo-spécifiques). Il s’agissait de démontrer que la justice n’est pas rendue de manière neutre, que celles et ceux qui rendent la justice (juges, avocat, jury etc) peuvent avoir des stéréotypes sexistes qui ne permettront donc pas que la justice soit rendue de manière neutre et objective. Le rapport montrait qu’il y avait plusieurs conséquences à ces stéréotypes sexistes ; par exemple que cela affecte l’impartialité de celles et ceux qui jugent, que cela joue sur leur compréhension des crimes et délits et que cela influence leur vision du criminel. On se souvient par exemple de ce magistrat français qui face à un homme accusé de violences conjugales, avait reproché à la femme de se soustraire à son “devoir conjugal”. On se souvient aussi de ce procès pour viol collectif en Espagne où un des juges avait affirmé qu’il y avait pour lui rapport consenti dans la mesure où la victime ne s’était pas débattue. C’était tout de même assez révélateur qu’un magistrat, chargé de juger un dossier de violences sexuelles, soit à ce point ignorant de ce qui se passe dans un viol. Pour information deux phénomènes ont pu se passer à ce moment là ; soit la victime a souffert de paralysie involontaire (sidération) pendant le viol qui est un phénomène désormais bien connu et documenté, soit elle a jugé que face à plusieurs hommes, il n’y avait rien d’autre à faire que subir pour éviter d’être en plus frappée voire tuée. Dans les deux cas, il n’y avait, évidemment, aucune espèce de consentement.
Dans les siècles précédents, il n’y avait qu’une réelle méthode pour prouver qu’on avait été violée. Etre tuée par son violeur en était une ; on était alors morte mais avec un honneur sauf et visiblement c'était le mieux qui pouvait nous arriver. L’autre était d’être extrêmement sérieusement blessée ce qui prouvait qu'on avait absolument pas voulu ce viol. En effet l'opinion majoritaire pensait qu'une femme en parfaite santé avait les moyens physiques de repousser un violeur. Si l’on n’avait pas physiquement résisté, c’est qu’on était consentant. On a parfois l’impression que cette opinion, fausse je le répète, continue à exister dans l’esprit de bon nombre de français.
On sait également grâce à une enquête menée par l’Ipsos que certains (donc de potentiels jurés, de potentiels magistrats et de potentiels avocats) ont des stéréotypes face aux violences sexuelles. Ainsi par exemple 13% des personnes interrogées pensent qu’un homme ne peut pas être violé et 36% d’entre elles pensent qu’une femme est en partie responsable du viol qu’elle a subi si elle est allée chez un inconnu. Le sondage est très intéressant car il permet de lister tous les préjugés auxquels sont soumis les français en matière de violences sexuelles. Il ne reste plus qu'à (avec un petit peu de volonté politique et beaucoup d'argent) mettre en place les outils pour les combattre ; indice investir massivement dans l'éducation est un excellent moyen.
Nous sommes dans une société qui reste profondément sexiste parce que, depuis au moins un millénaire (je suis généreuse sur cette date, la naissance du sexisme même si elle n’est pas datée est plus ancienne), des stéréotypes extrêmement négatifs sont propagés sur les femmes. Elles seraient fourbes, elles voudraient le malheur des hommes, elles ne cesseraient par leur comportement de causer le malheur de l’humanité. Pensez à tous ces personnages mythologiques (Eve, Pandore pour ne citer que les plus connues) qui fondent l’histoire de l’occident. Il n’est tout de même pas anodin de constater que Eve, un des personnages mythologiques fondateurs du catholicisme, religion dont l’influence n’est plus à démontrer dans ce qu’est la France aujourd’hui, a perdu l’humanité toute entière ! Il serait vain de penser que nous n’avons tous et toutes pas été profondément influencés par cette vision des femmes. Nous sommes imprégnés par ce sexisme toxique qui s’exprime dans les arts, le langage, la politique et tous les domaines de la vie et nous restons pour beaucoup, persuadés qu’une femme est quand même moins droite qu’un homme, est fourbe, ment beaucoup et souvent d’ailleurs pour faire chier les hommes. Cette idée est profondément présente lorsque nous parlons des violences sexuelles faites aux femmes. Les femmes mentent, les femmes veulent faire souffrir les hommes donc… elles mentent sur le viol, c’est tout aussi simple que cela. Donc lorsque Le Grand AvocatTM arrive avec sa défense cousue main, à base de femmes vengeresses et hystériques qui ne cessent de mentir, cela fonctionne et cela fonctionnera encore longtemps. Et il ne s’agit pas encore une fois de lui interdire de le faire mais de montrer pourquoi cela fonctionne et pourquoi on ne peut se satisfaire d’une justice fondée sur des préjugés sexistes.
Pas convaincus ? Prenons un autre exemple. Note, cet exemple n’a pas vocation à dire que l’antisémitisme n’est pas présent en France ou qu’il est mieux combattu que le sexisme ; c’est faux dans un cas comme dans l’autre bien évidemment. Simplement les mécanismes de l’antisémitisme me semblent parfois mieux compris et peuvent donc aider à comprendre, par le parallèle une situation sexiste. Imaginez une société profondément antisémite, société qui n’en a pas pleinement conscience d’ailleurs mais où une bonne partie de la population est tout de même persuadée que les juifs se prennent pour le centre du monde, ont des privilèges et ne cessent de se plaindre, de jouer les victimes et d’inventer de l’antisémitisme (mince on dirait vraiment que je parle de la France). Dans cette société-là, un homme en frappe un autre en proférant des injures antisémites. Personne ne les a vus et c’est parole contre parole, même s’il y a bien quelques personnes pour témoigner que l’accusé avait peut-être établi un climat un petit peu hostile aux juifs. Arrive le procès et l’antisémite est bien sûr défendu. Le Grand AvocatTM va alors fortement malmener la victime. Oh il n’évoquera pas sa judéité, pas du tout. Mais il lui demandera s’il n’en a pas assez de se victimiser, s’il n’a pas l’impression d’avoir donné une impression de supériorité aux autres, s’il ne ment pas. Bref il exploitera, consciemment ou non, tous les préjugés antisémites existants. Et notre antisémite sera acquitté. La justice est-elle rendue ? Devra-t-on se satisfaire du verdict parce que la Justice serait, selon l’expression consacrée, aveugle ? Parce que, par un mystérieux phénomène, celles et ceux qui ont jugé, celles et ceux qui ont défendu, ont tout d’un coup perdu tous leurs préjugés en rentrant au tribunal ? Cela parait absurde ? Et pourtant c’est ce qu’on demande aux féministes jour après jour, à chaque nouvel acquittement de violeur. (Bien évidemment, on pourrait étendre ma réflexion à d’autres minorités politiques, il serait par exemple intéressant de constater les verdicts – si elles ont pu aller jusqu’au procès – des personnes qui ont porté plainte pour contrôle au faciès par exemple).
Et est-ce que la justice est rendue pour les personnes victimes de violences sexuelles quand on sait à quel point notre société est sexiste, et donc celles et ceux qui jugent également ? La première réaction de notre président et de notre premier ministre face à #metoo a été de parler des menteuses potentielles. C’est la première chose qui leur est venue à l’esprit ; en cela, ils sont bien des français totalement moyens qui pensent, comme beaucoup, que les femmes mentent, et spécialement pour embêter les hommes. C’est, ne nous le cachons pas, la première chose qui nous vient à l’esprit quand une femme nous dit avoir été violée.
Elle ment.
Elle veut faire chier un mec.
Ce mec pourrait être moi. Ou mon frère.
Elle exagère.
On sait qu’il y a peu de fausses allégations de viol. Ce n’est pas moi qui l’affirme – comme j’ai pu le lire ça et là – mais de nombreuses études menées dans différents pays. A l’heure actuelle ce qu’on sait des personnes qui ont menti sur des questions de violences sexuelles c’est que ce sont davantage des mineurs, des malades mentales et des personnes souffrant d’addictions. Or ce sont justement aussi ces trois catégories de populations, qui sont, plus que les autres, sujettes aux violences sexuelles. Il y a peu de fausses allégations et pourtant c’est ce qui prédomine tous les débats sur les violences sexuelles, justement à cause du sexisme qui a aidé à fonder l’image d’une femme fourbe et menteuse. Rappelez-vous qu’il y a eu quelques procès pour des gens s’étant auto proclamées victimes de terrorisme ; dieu merci cela n’a pas disqualifié l’ensemble des personnes victimes. On a simplement jugé les menteurs et les escrocs sans faire peser quoi que ce soit sur les victimes.
Et dans ce contexte de suspicion généralisé à l’égard des femmes, la plaidoirie du Grand avocatTM marchera encore longtemps. Mais qu’on ne dise plus aux féministes de « circulez il n’y a rien à voir ». La plaidoirie du Grand Avocat ne fonctionne pas parce qu’il est formidable, sait s’élever au-dessus des masses hystérisées mais parce qu’il a exploité de tous petits stéréotypes sexistes minables qui ont fait tilt chez celles et ceux chargés de juger. A nous de faire en sorte que ce genre de plaidoirie fonctionne de moins en moins en dénonçant inlassablement les stéréotypes sexistes, les stéréotypes en matière de violences sexuelles y compris chez le Grand avocatTM. Mais encore faudrait-il qu’on nous écoute.
Ce samedi dans On n’est pas couché, Christine Angot a adopté la posture d’une « femme de droite » pour reprendre le titre du livre d’Andrea Dworkin. Dworkin s’intéressa à ces femmes qui adoptaient des positions si contraires aux intérêts de leur groupe (être anti IVG, défendre mordicus le mariage hétérosexuel etc) ; elle montra dans ce brillant essai que ces femmes ont parfaitement conscience de la domination et de la violence masculines. Ce ne sont pas des femmes qui les nient bien au contraire ; elles adoptent simplement des stratégies pour espérer en souffrir le moins possible. Ainsi elles vont par exemple défendre le mariage en espérant qu’être sous la protection d’un homme les préservera de la violence des autres. C’est évidemment une stratégie suicidaire puisque le principal lieu des violences masculines se passe au sein du mariage. (résumé du livre ici). Mais Dworkin montre que ces femmes ont analysé que la domination masculine est trop importante pour s’y opposer et qu’il vaut mieux composer avec.
Au dire de beaucoup, les féministes ont une rare propension à se tromper de combat, à ne pas différencier ce qui est important de ce qui ne l'est pas, à confondre l'accessoire et le nécessaire, à exagérer et au final à desservir leur cause. Nous devrions ainsi nous consacrer aux seuls combats que sont les violences sexuelles et conjugales.
Etonnamment, lorsque nous choisissons d'en parler, il semble que là encore cela ne soit pas de la bonne façon. Ainsi à chaque affaire médiatisée de violence sexuelle, il se trouve quelqu'un pour nous montrer qu'on n'a encore une fois pas tout à fait compris ce qu'il s'est réellement passé, qu'on se trompe de combat ou qu'on ne comprend décidément rien à ce qu'est un viol. C'est ainsi qu'Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L'Express consacre généreusement un article entier à nous expliquer à quel point nous sommes dans l'erreur face à Roman Polanski.
Eric Mettout nous explique tout d'abord les excellentes raisons qui ont fait fuir Roman Polanski au lieu de faire face à la justice. Cela serait, je cite "le climat dans lequel, à l'époque, se serait déroulé ce procès, on comprend qu'il ait hésité à s'y rendre comme le mouton à l'abattoir". Il ne m'avait pas semblé que les Etats-Unis de la fin des années 70 (ou d'un quelconque autre lieu ou moment soit-dit en passant), réservaient des peines particulièrement iniques et injustes aux criminels sexuels. Je serais donc curieuse de voir quels jugements ou quelle politique pénale ont pu laisser penser à Eric Mettout que les criminels sexuels étaient injustement traités. Je serais en ce cas tout à fait d'accord pour que nous lancions conjointement une pétition en leur faveur pour des traitements plus dignes et plus humains.
Eric Mettout prend ensuite soin de nous expliquer que Roman Polanski a reconnu les "relations sexuelles illégales" (le fait d'avoir des rapports sexuels avec une mineure) mais pas le viol ce qui constitue selon lui une preuve irréfutable qu'il n'y a pas eu viol. Alors, en effet, si on doit se fier à la parole des violeurs présumés pour juger de leurs actes, je pense que nous pouvons dorénavant dire que le viol a définitivement disparu de nos contrées et nous en féliciter.
Faisons néanmoins un bref rappel des faits.
En 1977 Roman Polanski a 43 ans. La victime, Samantha Geimer, a 13 ans.
Il est une star mondialement connue, réalisateur entre autres de Rosemary's baby et de Chinatown.
Une jeune fille de 13 ans face à un homme de 43 ans est-elle apte à donner un consentement sexuel valable : la réponse est non.
Une jeune fille de 13 ans face à un homme mondialement connu, célébré et admiré, qui est donc en position d'autorité, est-elle apte à donner un consentement sexuel valable : la réponse est non.
Une jeune fille de 13 ans (et cela vaut aussi pour n'importe qui) qu'on drogue au qaalude est-elle apte à donner un consentement sexuel valable : la réponse est non.
Une jeune fille de 13 ans à qui on fait consommer de l'alcool est-elle apte à donner un consentement sexuel valable : la réponse est non.
Pour toutes ces raisons, il y a bien eu viol de Samantha Geimer par Roman Polanski en 1977.
Est ce que Polanski gêne ? Ce qui gêne c'est les moyens déployés, affaires après affaires, pour défendre des hommes accusés de violences sexuelles. Ce qui gêne c'est de qualifier le viol d'une adolescente qu'on a préalablement droguée de "pas glorieux". Ce qui gêne c'est d'au fond constater que tant qu'un homme a du talent, de l'entregent, une sacrée liberté de ton ou que sais-je, il se trouvera toujours un autre homme pour le défendre, l'excuser ou minimiser ses actes.
"Les amis mâles de la libération des femmes - que d’aucunes appellent avec l’impertinence, pire, l’ingratitude, qui caractérisent les enfants gâtées, nos « souteneurs » - ont révélé à maintes reprises que leur compréhension s’arrêtait là où la véritable libération commence. Comment, dans les conditions décrites plus haut, peuvent-ils, sans forfaiture, se déclarer nos "alliés" ?
Ils ne le déclarent pas longtemps d’ailleurs. Il n’en faut pas beaucoup pour qu’on s’aperçoive que la bienveillance affichée par laquelle ils prétendent se distinguer des autres hommes recouvre le même mépris que l’hostilité déclarée du grand nombre."
Christine Delphy, Nos amis et nous
Un article (en anglais) explique la procédure du plaider coupable de Roman Polanski. Il a plaidé coupable pour "Unlawful Sexual Intercourse" et l'article nous explique que c'est un synonyme de "statutory rape" (rape signifie viol en anglais). Cela veut dire qu'il a plaidé coupable pour avoir eu des relations sexuelles avec quelqu'un qu'il savait être en âge de ne pas consentir. Un viol donc.
Cet article (également en anglais) montre que, contrairement à ce qu'Eric Mettout affirme, il y avait en 1977 une vague forte de sympathie pour le comportement de Roman Polanski : "In one article by The Associated Press, published in The Times on Sept. 20, 1977, Judge Rittenband scolded Mr. Polanski for taking advantage of his victim even as he was “noting the teenage girl ‘looks older than her years’ and was sexually experienced.".
Voici le résumé de Pax neoliberalia, Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence de Jules Falquet qui m'a été gentiment envoyé par les éditions iXe. Dans ce recueil de textes, écrits sur une vingtaine d'années, l'auteure travaille sur les enjeux matériels des différentes formes de violences contre les femmes et sur la réorganisation néolibérale de la coercition.
Il est difficile de prétendre en tout début d'année que ce livre sera un des livres les plus marquants de mon année 2017 mais j'ai pourtant bien ce sentiment. L'auteure arrive magistralement à montrer, par exemple, combien la violence patriarcale et celle née du néo-libéralisme touchent en tout premier lieu les femmes (et encore davantage si elles sont racisées).
Ce témoignage se veut une réponse au témoignage de Marie-Christine Bernard sur le blog Mauvaise herbe où elle faisait l'inventaire des agressions sexuelles subies.
Les femmes témoignent de plus en plus des violences sexistes qu'elles subissent. Cela entraîne à mon sens deux conséquences :
- une profonde résistance, en particulier de la part des hommes (mais pas que ; quelle femme a sérieusement envie de voir à quelle point elle peut être potentiellement victime de violences sexuelles ?).
- la révélation que nous considérons quasi tous et toutes ces agressions comme quasi dans la norme, comme immuables. Nous nous y habituons et n'avons au fond pas vraiment envie de lutter contre parce que ca ne dérange au fond pas grand-monde ; les femmes s'y habituent, les hommes agressent et/ou ferment les yeux.
Nous faisons donc face à un double paradoxe. D'un côté nous refusons de voir que les violences sexuelles sont banales dans le sens courantes, habituelles, partie quasi intégrante de la vie des femmes. Et de l'autre nous les banalisons totalement, en disant, sinon clairement, du moins en sous-texte, qu'on ne peut pas fait grand chose contre ou que de toutes façons les femmes ont tendance à tout exagérer. Il suffit à ce sujet d'analyser les réactions lorsqu'une femme dit publiquement avoir été violée ou agressée sexuellement ; ce qu'elle a vécu sera quasi systématiquement minimisé voire moqué.